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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/385

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LIVRE DEUXIÈME

Si j’ai bien réussi à rassembler tous les traits, à découper le portrait exact, tel que me le fournissaient les auteurs originaux et surtout Fontaine, l’idée distincte qui restera de cette figure de M. de Saci ne sera autre que celle d’un de ces beaux tableaux noirs qu’on voit quelquefois dans une salle basse et sombre, un Rembrandt sans le rayon et tout uni. Parmi les Chrétiens et

    de M. de Saci, ainsi que le Nouveau-Testament de Mons où il eut si grande part, ont été fort chicanés et comme houspillés, à l’égard de la diction, par le Père Bouhours. Dans le deuxième de ses Entretiens d’Ariste et d’Eugène, dans ses Doutes d’un gentilhomme breton sur la Langue, dans ses Remarques nouvelles…, ce Jésuite, au milieu de quelques éloges ménagés çà et là par bon air, a fait la guerre aux mots chez Messieurs de Port-Royal, et une guerre très-vive. Il en relève plusieurs qui ont passé depuis, mais un grand nombre aussi qui sont restés en dehors : assassinateurs, coronateurs, murmurateurs ; élèvements, prosternements, effacements, enivrements (ce dernier mot, même au pluriel, est de la meilleure langue) ; irramenable (je l’ai employé pour caractériser l’opiniâtreté d’Arnauld), infaisable, incharitable (ces derniers de M. de Saci). Bouhours s’amuse longuement sur ce mot d’incharitable. Il oppose d’autres difficultés encore sur les locutions (élever les yeux au ciel, pour lever les yeux), sur les constructions et les queues de phrases ; il a souvent raison. Incomparablement inférieur à Messieurs de Port-Royal pour le fond et la philosophie de la grammaire, pour la raison logique des choses, il avait du goût ; surtout il savait son monde et était du dernier usage. Le Nouveau-Testament traduit, qu’il voulut opposer à celui de Mons, s’en est trop ressenti : on a dit qu’il avait fait parler les Évangélistes à la Rabutine. Il était, d’ailleurs, bien assez galantin pour cela. Messieurs de Port-Royal de leur côté (deux ou trois à part) retardent légèrement par rapport au Louis XIV, comme des solitaires qu’ils sont. La Vie de Dom Barthélémy des Martyrs par M. de Saci ne semble pas à beaucoup près aussi rapprochée en date qu’elle l’est, de la Vie du cardinal Commendon ou de celle de Théodose par Fléchier, de l’Histoire de l’Académie par Pellisson, des Vies de saint Ignace et de saint François-Xavier par Bouhours même. Arnauld, qui avait, en quelque sorte, le génie grammatical, se préoccupait assez fortement de ces observations de Bouhours, et il en profitait. À propos des critiques contre le Nouveau-Testament de Mons, il alla jusqu’à offrir de prendre pour conseils et comme pour arbitres de langage, dans la révision, deux personnes de l’Académie, MM. Du Bois et