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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/510

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PORT-ROYAL.

des biens n’étaient pas inutiles, n’étaient même pas suffisants pour l’aider à soutenir ce ton de dépense où il s’était mis. Il en était là, vivant et s’émancipant, fort aux prises, je me le figure, avec Montaigne, résistant par l’intelligence, cédant et dérivant par la conduite. La grande époque de son doute avec alternatives se place ici, dans cet intervalle et cet interrègne des deux conversions, cinq longues années. Il avait recommencé à se dissiper depuis la fin de 1648. Son esprit vigoureux, hardi, se lâchait bride en tous sens ; le Montaigne en lui avait dû regagner vite le temps perdu[1].

C’était le temps de la Fronde et le lendemain ; la société se livrait à nu. Molière et Pascal, ces deux grands esprits, en ces libres moments, eux aussi, passaient leur jeunesse et menaient leur Fronde.

Les grands et les petits, la propriété, la naissance, tous les droits ou les préjugés nécessaires et convenus, Pascal, en passant, s’en rendait compte ; et il n’avait i’air que de s’amuser[2]

  1. Une observation toutefois me frappe. Le doute de Pascal ne trouve guère place qu’après sa première conversion si vive, si réelle ; de sorte qu’on peut dire qu’il est comme postérieur à sa foi. Plus tard, il se ravivera par accès, je le crains, au sein même de l’enfantement des Pensées. Pascal n’a jamais plus douté peut-être que dans le temps où il a le plus cru. Mais le doute alors était et fut toujours en lui, plus ou moins, comme un lion en cage. Qu’aurait-ce été s’il n’y avait eu tout d’abord ce premier fond de Grâce ?
  2. Il est assez singulier de voir (et j’y reviendrai) comme le Père Rapin, dans ses Mémoires, a mal connu Pascal et quelle idée il s’en était faite. Il nous le représente dans sa jeunesse comme adonné aux sciences occultes et à la magie, cherchant les Esprits et à se mettre en commerce avec le Diable : il le fait convertir par M. de Saint-Cyran qui l’aurait arraché à ce genre de libertinage, où il aurait eu pour compagnons et complices les Mitton, les Méré, les Thévenot. — D’autres, qui sont à cent lieues de ces sots propos, ont essayé de prêter à Pascal des faiblesses amoureuses, en se fondant sur son fameux Discours retrouvé, où il disserte des Passions de l’Amour. Il est bien vrai qu’il en parle comme quelqu’un qui n’est