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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/517

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LIVRE TROISIÈME.

aller en laissant ses gens k distance, et en changeant de nom. M. Singlin, par une belle lettre, le lui défend ; il prolonge encore la quarantaine, et lui donne ordre d’attendre avec patience son retour, constituant provisoirement la sœur de Sainte-Euphémie sa Directrice. Celle-ci continue :

« Enfin M. Singlin étant de retour, je le pressai de me décharger de ma dignité, et je fis tant que j’obtins ce que je désirois, de sorte qu’il le reçut. Ils jugèrent à propos l’un et l’autre qu’il lui seroit bon de faire un voyage à la campagne, pour être plus à soi qu’il n’étoit, à cause du retour de son bon ami le duc de Roannès, qui l’occupoit tout entier. Il lui confia cependant ce secret, et avec son consentement, qui ne fut pas donné sans larmes, il partit, le lendemain de la Fête des Rois, avec M. de Luines, pour aller en l’une de ses maisons où il a été quelque temps. Mais, parce qu’il n’étoit pas là assez seul à son gré, il a obtenu une chambre ou cellule parmi les solitaires de Port-Royal, d’où il m’a écrit avec une extrême joie de se voir logé et traité en Prince, mais en Prince au jugement de saint Bernard, dans un lieu solitaire où l’on fait profession de pratiquer la pauvreté en tout ce que la discrétion peut permettre…
« Il n’a rien perdu à sa Directrice, car M. Singlin, qui a demeuré en cette ville pendant tout ce temps, l’a pourvu d’un Directeur (M. de Saci), dont il est tout ravi ; aussi est-il de bonne race.
« Il ne s’ennuyoit point là, mais quelques affaires l’ont obligé de revenir contre son gré ; et, pour ne pas tout perdre, il a demandé une chambre céans (à Port Royal de Paris), où il demeure depuis jeudi, sans qu’on sache chez lui qu’il est de retour. Il ne dit à personne où il alloit lorsqu’il partit, qu’à madame Pinel, et à Duchêne qu’il menoit. On s’en doutoit néanmoins un peu, mais par pure conjecture. Les uns disent qu’il s’est fait moine ; d’autres, ermite ; d’autres, qu’il est à Port-Royal. Il le sait, et ne s’en soucie guère. Voilà où les choses en sont[1]. »

Nous avons rejoint l’Entretien avec M. de Saci, qui

  1. Recueil d’Utrecht, 1740.