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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/518

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PORT-ROYAL.

dut avoir lieu durant l’un de ces premiers séjours au monastère des Champs ; nous possédons dès lors dans notre sujet tout Pascal. Il avait, je le rappelle, de trente et un à trente-deux ans ; il adopta, de ce moment, le genre de vie qu’il a suivi jusqu’à sa mort, se servant lui-même jusqu’à faire son lit, et n’employant les domestiques que pour les offices indispensables. À cette première lettre, écrite de sa cellule, où il disait qu’il était logé et traité en Prince, sa sœur répondait elle-même avec toute sorte d’enjouement : Je ne sais comment M. de Saci s’accommode d’un pénitent si réjoui. On retrouve en ces grandes âmes le rire aisé, heureux, involontaire, le rire de Lancelot et de l’enfant : ainsi se vérifie le Soyez joyeux de l’Apôtre. Pascal, à peine assis au désert, en ressent les délicieuses prémices.

Joie, joie y pleurs de joie ! Réconciliation totale et douce, a-t-il dit dans le petit papier !

Ses infirmités étaient grandes, mais tolérables en ces années, et sans trop de redoublement jusqu’à trente-cinq ans. Ses premières austérités parurent même lui faire moins de mal que de bien : « J’ai éprouvé la première, lui écrivait sa sœur, que la santé dépend plus de Jésus-Christ que d’Hippocrate, et que le régime de l’âme guérit le corps, si ce n’est que Dieu veuille nous éprouver et nous fortifier par nos infirmités. » Lui-même prit dès lors pour maxime, que, la maladie étant, depuis le Péché, l’état naturel des Chrétiens, on doit s’estimer heureux d’être malade, puisqu’on se trouve alors par nécessité dans l’état où l’on est obligé d’être.

Cet état habituel et profond, cette souffrance aimée donnera à ses Pensées je ne sais quelle tendresse. Pascal est malade, c’est ce qu’il faut souvent se rappeler en le lisant, Pascal malade se montre très-sensible aux souffrances physiques de Jésus-Christ malade, et c’est touchant.