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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/141

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LIVRE TROISIÈME.

aujourd’hui, dans ces maisons peu sombres où on lit au fronton quelqu’une de ces inscriptions engageantes[1] :

DOMINO
MUSISQUE SACRUM

(toujours le mélange du dévot, et du fleuri), la jeunesse est heureuse ; on se plaît à leurs leçons, assaisonnées d’une certaine politesse et tempérées de soins affectueux. On ne les quitte qu’en leur disant comme M. de Lamartine, dans ses Adieux au Collège de Belley :

Aimables Sectateurs d’une aimable sagesse,
Bientôt je ne vous verrai plus.

Quiconque a passé par eux, comme l’abbé Prévost ou même Voltaire, leur demeure reconnaissant à toujours. Ils sont le plus souvent encore d’aimables gens à les prendre un à un, d’honnêtes gens à travers toute leur finesse ; ils ont été, ils ont eu autrefois des hommes d’érudition vaste, de dévouement héroïque. Ce triple respect sincèrement payé, si l’on en vient à l’ensemble de la conduite et de l’influence, il faut que le ton change. Les individus peuvent être généralement bons, c’est le Corps et l’esprit de ce Corps qui est détestable[2]. Le Père Daniel nous dit : « La politique des Jésuites (telle que Pascal la leur reproche) est une chimère ; le système de Pascal n’est pas vraisemblable : si les Jésuites ont corrompu la morale, ce n’a point été de concert les uns avec les autres. » De concert médité et comme par mot d’ordre, certes non ; mais par un petit souffle insensible

  1. Par exemple, à Fribourg.
  2. « Chaque Jésuite était aimable, morigéné, utile, et toute la Société, qui n’était pourtant que la masse des individus, était odieuse, corrompue dans la morale, pernicieuse. Que d’autres expliquent cet étrange phénomène ; pour moi je m’y perds. » (L’abbé Galiani, Lettres à madame d’Épinay, t. II, p. 178.)