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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/154

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PORT-ROYAL.

tout homme généreux, et qui ne périt pas nécessairement dans le Chrétien, Arnauld l’avait ; il avait du lion, on l’a dit : il en faut dans tout véritable cœur. Pascal également au sein de plus hautes lumières, possédait intacte cette faculté franche d’indignation morale. Il n’y en a plus trace dans le cœur humain maté par le Jésuitisme, et alors ce n’est pas d’ordinaire la seule et divine mansuétude qui l’a remplacée[1].

  1. Les dernières querelles religieuses en France ont suscité une brochure remarquable qu’il me coûterait de paraître négliger, ou de mettre en cause inconsidérément : je veux parler de l’Écrit apologétique de M. de Ravignan (De l’Existence et de l’Institut des Jésuites), où respire une sorte d’éloquence affectueuse. Plus d’un de mes lecteurs sans doute pense à cette brochure, et s’est déjà demandé comment elle s’accommode avec mon jugement. Mais, à mon défaut, on aura ici trois opinions que j’ai recueillies fidèlement, et qui, ce me semble, viendront bien à l’appui de ce chapitre. — Au moment où l’Écrit de M. de Ravignan paraissait, M. Royer-Collard, à qui j’en parlais, me dit : « J’ai lu sa brochure, elle est bien ; mais j’ai dit en finissant : Voilà un homme qui se croit Jésuite. Il a la candeur de croire qu’il l’est ; il est vrai que, si on lui montrait ce que c’est que les Jésuites, il ne le croirait pas. Il y a place dans l’Ordre pour de tels hommes ; mais cela ne prouve rien, si ce n’est pour ces individus. » (On me dira que, sur cette même brochure, M. Royer-Collard a écrit à M. de Ravignan une certaine lettre de compliment qu’on a ; mais cette lettre, produite et imprimée depuis, ne saurait faire que je n’aie point entendu de sa bouche ces propres paroles.) — Le sage et religieux duc de Broglie disait un jour, devant moi, sur le même sujet : « Il prouve très-bien que d’autres que les Jésuites ont soutenu le Probabilisme, le Régicide ; mais il ne répond pas à la vraie objection. Pour moi, je ne fais aux Jésuites qu’un reproche : c’est qu’ils sont un Gouvernement, et ils en ont tous les inconvénients. » — Enfin, M. Dupin me disait, à propos de cette même brochure, en des termes du plus mâle et du plus incisif bon sens : a Je ne l’ai pas lue encore ; je lui accorderai tout ce qu’il voudra individuellement ; j’accorderai qu’il y a eu, qu’il y a des individus jésuites honnêtes gens, gens aimables, grands prédicateurs, grands mathématiciens : mais, comme association, comme Ordre, ils n’ont eu que ce qu’ils méritaient. Les meilleurs peuvent à l’instant devenir mauvais et funestes par leur loi d’obéissance : c’est toujours le bâton dans la main du vieillard. En France, on a senti cela d’instinct : tout ce qu’il y a