Aller au contenu

Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/257

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
247
LIVRE TROISIÈME.

beaucoup feuilleté leurs livres, à commencer par le pauvre Royaumont qui fatigua si fort mon enfance, et dont l’Épître dédicatoire est un des monuments de platitude les plus exquis qui existent dans aucune « langue… » Pauvre Fontaine, lui aussi qui ne s’y attendait guère, le voilà passé au fil de l’épée[1] ! Excité par son propre entrain, le grand exterminateur ne s’arrête que quand il ne voit plus un seul ennemi debout :

« Non-seulement les talents furent médiocres à Port-Royal, mais le cercle de ces talents fut extrêmement restreint, non-seulement dans les sciences proprement dites, mais encore dans ce genre de connoissances qui se rapportoient le plus particulièrement à leur état[2]. On ne trouve parmi eux que des grammairiens, des biographes, des traducteurs, des polémiques éternels, etc. ; du reste, pas un

  1. Et remarquez comme ici tout est injuste. D’abord de Maistre, qui prétend retrouver un déguisement de l’orgueil sous la modestie des anonymes et pseudonymes en usage parmi les écrivains de Port-Royal, serait bien embarrassé en ce qui regarde Fontaine. Cet homme, si véritablement humble, n’a été connu comme l’auteur des Figures de la Bible, publiées sous le nom de Royaumont, que parce que le Registre mortuaire de sa paroisse l’a désigné comme tel ; on avait jusque-là attribué généralement cet ouvrage à M. de Saci. Quant à l’Épître dédicatoire à Monseigneur le Dauphin (1669), qui paraît si plate à de Maistre, elle n’a rien qui la distingue des autres pièces de ce genre ; j’y note même cette phrase sur l’usage qui est à faire des livres divins : « Ce qu’on en peut dire en général est renfermé dans des bornes trop étroites pour répondre à la sagesse de Dieu, qui est infinie ; et ce qui est plus proportionné à votre intelligence et à votre instruction, Monseigneur, se doit réserver à la haute prudence et lumière de celui qui travaille, etc. (M. de Montausier). » Et ailleurs : « Si les Princes sont comme les dieux de la terre, ils ne sont néanmoins que terre et poudre devant Dieu. » Pour moi, j’avoue que le pauvre Royaumont n’a pas plus ennuyé mon enfance que ne l’a fait le bon Rollin, tous les deux l’ont charmée.
  2. L’expression et l’idée sont inexactes. Messieurs de Port-Royal n’avaient point d’état ni de profession autre que d’être chrétiens et pénitents.