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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/256

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PORT-ROYAL.

qu’il aime et où il se joue. Il convient certes d’aimer le distingué et l’élevé dans l’ordre de l’esprit ; mais ici il y a fureur de vocation. Il s’ensuit une aveugle injustice. Ce qu’il y a de sain, de judicieux, d’honnête, ce qu’il y eut de tout à fait neuf à son moment dans les bons ouvrages de Port-Royal, est complètement méconnu.

En parlant de ces mêmes livres de Port-Royal, de Maistre vient de dire que c’est le poli, la dureté et le froid de la glace. Mais n’est-ce pas bien plutôt de lui et de sa manière qu’on pourrait dire ainsi ? Ne peut-on pas la comparer souvent, cette manière, et l’effet qu’elle produit en maint endroit aux simples regards de l’esprit, à l’éclat du soleil sur des pics neigeux, glacés, inaccessibles ? La lumière qui s’en réfléchit, au lieu d’être la joie des yeux, comme dit Bossuet, n’en est bien souvent que l’offense.

La recette plaisante que de Maistre indique pour fabriquer un livre de Port-Royal rappelle la méthode que donne Pascal (VIe Provinciale) pour confectionner une nouvelle opinion probable. Tout ce chapitre (vérité à part) est d’un montant des plus vifs ; si j’osais le louer dans les vrais termes, je dirais que c’est le sublime du taquin. Quand on n’examine pas, on dirait que c’est foudroyant. Arnauld et ses masses d’in-quarto y sont renversés d’un souffle ; la Logique si accréditée ne tient pas un moment : « Quel homme pouvant lire Gassendi, Wolff, ’sGravesande, ira perdre son temps sur la Logique de Port-Royal ? » Il en parle à son aise : toujours la hauteur. Sur ce qu’on a fort vanté le tour d’esprit solide et animé qui faisait le caractère des écrits et des entretiens de ces Messieurs : « Je déclare sur mon honneur, répond cavalièrement de Maistre, n’avoir jamais parlé à ces Messieurs ; ainsi je ne puis juger de ce qu’ils étoient dans leurs entretiens : mais j’ai