Aller au contenu

Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/409

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
399
LIVRE TROISIÈME.

quelques coups à ce vainqueur de tant d’esprits, et secouer le joug dont il les a affublés, j’oserais presque dire avec Lucrèce :

Quare superstitio[1] pedibus subjecta vicissim
Obteritur, nos exaequat Victoria cœlo.

« Au reste, je m’y prendrai avec précaution, et je ne critiquerai que les endroits qui ne seront point tellement liés avec notre sainte religion qu’on ne puisse déchirer la peau de Pascal sans faire saigner le Christianisme. »

On saisit à la fois le but et le manège. Il y a souvent bien du bon sens dans ces Remarques que Voltaire a l’air de jeter négligemment, et qui prennent Pascal au vif sous le cilice ; c’est la nature qui secoue la religion, et qui ressaisit en se jouant toute sa liberté, tout son libertinage. Voltaire s’efforce de simplifier et de diminuer autant que possible la question. Qu’est-ce que l’homme ? un animal comme un autre, un peu supérieur, un peu mieux pourvu d’organes, un peu plus heureux ; mais il n’y a pas en lui plus de mystère. L’auteur du Mondain est optimiste quand il répond à Pascal ; l’auteur de Candide le sera moins quand il voudra houspiller Leibniz[2]. Un jour que Voltaire était très en colère contre Rousseau, contre le premier Rousseau, il écrivait à d’Olivet, à propos de ce misérable :

Mon cher abbé, Rousseau n’empêchera pas que la Henriade ne soit un bon ouvrage, et que Zaïre et Alzire n’aient

  1. Voltaire sait bien qu’en mettant Superstitio à la place de Religio, qui est dans Lucrèce, il donne une entorse à la vérité encore plus qu’à la quantité : c’est tout simplement Religio qu’il veut dire.
  2. Frappé, dit Jean-Jacques en ses Confessions, de voir ce pauvre homme accablé, pour ainsi dire, de prospérité et de… gloire, déclamer toutefois amèrement contre les misères de cette vie et trouver toujours que tout est mal, je formai l’insensé projet de le faire rentrer en lui-même et de lui prouver que tout était bien..,. » (Confessions, partie II, livre IX.)