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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/416

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PORT-ROYAL.

sance de démonstration insensible. Si l’on voyait une fois la majorité des hommes s’appliquer et réussir à vivre comme on vit volontiers dans Paris et dans d’autres grandes villes, il deviendrait bien difficile d’admettre que la Providence permette, d’une part, tout ce développement social et cet oubli, et que, de l’autre, elle prépare sous main quelque catastrophe épouvantable, une vaste Conspiration des poudres, pour faire sauter maisons et habitants. Il est une jouissance habituelle et régulière de la civilisation qui exclut, même en théologie, de certaines images. — Boullier a plus de force quand il répond à son badin adversaire sur l’article de la duplicité de nature que le Christianisme, avec Pascal, dénonce dans l’homme ; il faudrait citer tout ce paragraphe IV, dont voici seulement la fin :

« L’homme (dit M. de Voltaire) est inconcevable, mais tout le reste de la nature l’est aussi. — Non pas au même égard, ni au même sens. Dans un premier sens, l’homme est inconcevable, comme tout le reste de la nature : il a ses mystères, comme les autres êtres qui composent l’Univers, par rapport à leur essence, à leur opération, à leur production, à leur entretien, à leur usage, ont aussi leurs mystères. Mais ce n’est pas de quoi il s’agit. L’homme a, pour ainsi dire, son genre d’incompréhensibilité à part, qui lui vient du dérèglement qui l’éloigne de sa vraie destination, tandis que les autres créatures paroissent si fidèles à la leur.
« Il n’y a pas plus de contradictions apparentes dans l’homme que dans tout le reste. Il paroit que M. de Voltaire s’est peu étudié lui-même… »

Et il le renvoie non-seulement à la Satire de Despréaux, mais à ces philosophes de son étroite connaissance, à M. de Fontenelle et surtout à Bayle[1].

  1. Bayle, Nouvelles Lettres critiques sur l’Histoire du Calvinisme, Lettre XXI, article XIX, sur l’impertinence de l’homme. « Nec miserius quidquam homine, aut superbius, » a dit Pline le naturaliste.