Aller au contenu

Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/417

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
407
LIVRE TROISIÈME.

C’est dans cet ordre de réfutation morale qu’excelle M. Boullier, et qu’il est le plus en force pour défendre son auteur. L’explication que Pascal trouve à ce besoin de divertissement qui est dans l’homme, ce fond de misère inconsolable et d’ennui d’où l’on veut à tout prix se détourner, et où l’on retombe dès qu’on ne voit que soi, avait fort égayé Voltaire. Celui-ci s’était attaché à ce mot, ne voir que soi (qui par parenthèse n’était point de Pascal, mais des premiers éditeurs) : « Ce mot, s’écriait-il, ne forme aucun sens. Qu’est-ce qu’un homme qui n’agirait point, et qui est supposé se contempler ?… »

En vérité, lui répond Boullier, je crains que M. de V. ne soit en effet de ces hommes qui ne demeurent jamais avec eux-mêmes, et que le ressentiment de leur propre misère[1] porte sans cesse à chercher de l’occupation en dehors. Il est du goût de Saint-Évremond : « Je ne veux, disait ce Pétrone moderne, avoir sur rien de commerce trop long et trop sérieux avec moi-même. »

Et sur la pensée, essence et marque de l’homme, et qui seule le fait le plus noble que l’Univers, comme Boullier répond patiemment et dignement aux facéties où s’oublie, cette fois encore, le contradicteur de Pascal ! Et sur la charité ! « La distance infinie des Corps aux Esprits figure la distance infiniment plus infinie des Esprits à la Charité, car elle est surnaturelle. » Cette pensée de Pascal est traitée sans façon de galimatias par Voltaire ; et Boullier ne s’en étonne pas, car il se rappelle ce beau mot de l’Apôtre : « Animalis autem homo non percipit ea quæ sunt Spiritus Dei… L’homme charnel ne perçoit point les choses qui sont de l’Esprit

  1. Ressentiment pour sentiment ; le style de Boullier, on l’aura déjà remarqué, retarde un peu sur son siècle. Le fils du réfugié parle la langue que parlait son père au moment de la sortie.