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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/421

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LIVRE TROISIÈME.

importun des Pensées. D’Alembert écrivait, d’un air d’impartialité : « Les Pensées de Pascal, bien inférieures aux Provinciales, vivront peut-être plus longtemps, parce qu’il y a tout lieu de croire, quoi qu’en « dise l’humble Société (les Jésuites), que le Christianisme durera plus longtemps qu’elle. » Condorcet, qui, sans être précisément un homme de génie, fut certainement le composé supérieur le plus complet qu’ait produit la doctrine du dix-huitième siècle, reprit avec régularité et système la pointe hardie de Voltaire contre Pascal. Nouvel honneur pour celui-ci d’être ainsi le point de mire auquel l’ennemi ne se trompait pas !

L’édition des Pensées par Condorcet ressemblait moins encore à un siège en règle qu’à une prise de possession ; le drapeau du vainqueur flottait désormais sur la place conquise. L’Éloge de Pascal, mis en tête, est un ouvrage très-remarquable et d’une forme respectueuse ; les notes, ajoutées au bas, sont moins bienveillantes. Condorcet prend acte surtout de ce que Pascal ne croyait pas qu’on pût arriver par la raison seule à une démonstration de l’existence de Dieu. Qu’aurait-il dit s’il avait lu cette note exactement restituée : « Athéisme, marque d’esprit, mais jusqu’à un certain point seulement[1] ? » Chez Pascal (il ne faut jamais perdre cette clef) le raisonnement ne se sépare

  1. Le Père Des Molets, dans son appendice aux Pensées, avait écrit : « Athéisme, manque d’esprit, etc. » Il n’avait osé comprendre l’idée de Pascal dans toute sa portée (voir M. Cousin sur ce point ; c’est un des endroits les plus intéressants de son Rapport, 2e édition, page 174). D’Alembert, au reste, pas plus que Condorcet, n’avait eu besoin de ces petites additions pour être averti de l’argumentation de Pascal, et pour en tirer parti en la tronquant. On peut lire, dans les notes ajoutées à l’Éloge de l’ahbé Houteville, une suite de phrases de Pascal, disposées et construites par d’Alembert dans un ordre qui sent l’athéisme. C’est ingénieux et cauteleux.