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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/526

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PORT-ROYAL.

une saveur de latinité, introduite avec discrétion, peut rajeunir et jusqu’à un certain point réparer la langue : alors l’excès de latinisme l’altérait et l’accablait. « Il est bien certain, disait-on à Port-Royal, que quand on n’est pas assez affermi dans sa langue propre, les langues étrangères nous entraînent insensiblement à leurs expressions, surtout quand on ne connoît les choses que par elles, comme il arrive aux enfants, et nous font parler latin avec des termes françois. » L’originalité du siècle de Louis XIV est d’avoir absolument cessé de parler latin en français ; et dans cette belle langue, si nette, si vive, qui eut cours depuis 1664, on ne sent plus trace de complication ni de mélange. Port-Royal y a, de toutes ses forces, contribué[1].

À ce même souci du bien dire se rapporte la prescription si saine de nourrir longtemps les enfants d’un même style, d’éviter de leur faire lire d’abord des livres de style différent : en langage comme en morale, rien n’est important comme la simplicité du premier fonds.

De très-bonne heure il convient, selon Port-Royal, d’exercer les enfants et de leur tenir l’esprit en éveil, toujours présent à ce qu’ils font ; ce qui devient facile, du moment qu’on ne les applique qu’à ce qu’ils entendent et à ce qui est à leur portée. Ainsi, après qu’ils auront lu et appris par cœur les pages des traductions, on les fera traduire eux-mêmes de vive voix, à l’improviste ;

  1. Quand, de nos jours, je vois tant de jeunes mères, dans leur ambition scientifique pour leurs enfants, leur donner des nourrices ou femmes de chambre anglaises, allemandes, je souffre pour notre cher français, que ces enfants-là n’auront jamais bégayé tout d’abord dans sa pureté naïve ; et je me dis que le temps de la grande confusion des langues est arrivé. — Pauvres petits cosmopolites, de qui l’on ne dira jamais : « L’accent du pays où l’on est né demeure dans l’esprit et dans le cœur comme dans le langage. » (La Rochefoucauld.) — « Ante omnia ne sit vitiosus sermo nutricibus, » recommandait Quintilien (liv. I, chap. I).