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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/554

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PORT-ROYAL.

La Logique de Port-Royal, à la bien voir, n’est que l’application plus usuelle et plus développée des règles provisoires que se pose Descartes dans son Discours de la Méthode, Port-Royal prend ces règles de même dans le sens commun incontestable ; mais au lieu de partir de là pour se bâtir ensuite toute une philosophie sur un premier fait intérieur, comme Descartes, Port-Royal en part simplement pour donner une suite de réflexions sur les diverses opérations de l’esprit, pour tâcher d’en démêler les erreurs et d’en régler la justesse.

Le premier but de la Logique de Port-Royal n’est pas de former le grammairien, le savant en aucune science, le logicien pur, mais l’homme :

« On se sert de la raison comme d’un instrument pour acquérir les sciences, et on se devroit servir, au contraire, des sciences comme d’un instrument pour perfectionner sa raison… Les hommes ne sont pas nés pour employer leur temps à mesurer des lignes, à examiner les rapports des angles, à considérer les divers mouvements de la matière. Leur esprit est trop grand, leur vie trop courte, leur temps trop précieux pour l’occuper à de si petits objets : mais ils sont obligés d’être justes, équitables, judicieux dans tous leurs discours, dans toutes leurs actions, et dans toutes les affaires qu’ils manient ; et c’est à quoi ils doivent particulièrement s’exercer et se former. »

Ce n’est pas une autre idée que celle de Montaigne qui veut former le gentilhomme, non l’homme d’aucun métier ni d’aucune école :

« Allant un jour à Orléans, dit ce charmant causeur qui anime tout, je trouvay dans cette plaine, au deçà de Clery, deux régents qui venoyent à Bourdeaux, environ à cinquante pas l’un de l’aultre : plus loing derrière eux je veoyois une troupe, et un maistre en teste, qui estoit feu M. le comte de La Rochefoucault. Un de mes gens s’enquit au premier de ces régents, qui estoit ce gentilhomme qui venoit après lui : luy qui n’avoit pas veu ce train qui le suy-