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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/627

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APPENDICE.

centre de bataille une arrière-garde. M. Rambert, dans cet examen de l’édition de M. Astié, concluait contradictoirement à M. Vulliemin, que M. Vinet lui-même, tant invoqué, était trop artiste, avait un sentiment trop exquis de l’art de Pascal pour permettre qu’on y portât la moindre atteinte, fût-ce au nom des convictions qui lui étaient le plus chères, et que s’il avait pu dire autrefois qu’on lui avait pris son Pascal, il n’aurait pas dit cette fois qu’on le lui avait rendu.

Mais bientôt M. Rambert étendait son point de vue, et, considérant en elle-même l’œuvre de Pascal, il n’y trouvait de subsistant encore et de vivant aujourd’hui que ce qu’il en appelle la préface, c’est-à-dire ce sombre et magnifique tableau de la nature humaine. Il veut bien accorder une attention marquée à la page de Port-Royal, que citait également M. Astié, et dans laquelle je ne faisais que commenter Voltaire ( « Il est bien vrai, en effet, que le jour où, soit machinalement, soit à la réflexion, etc., etc. » ) : il y reconnaît du vrai, tout en la combattant en partie. Il estime que, de Pascal, cet énergique portrait du cœur humain troublé et non comblé dans son abîme n’a pas vieilli et n’est pas près de vieillir. Mais, cela dit, il ne voit plus rien de solide dans l’argumentation de Pascal ni de satisfaisant dans son explication. L’idée de la Chute, par exemple, concorde sans doute avec les phénomènes que présente le cœur humain, et elle explique quelques-unes de ses étonnantes contradictions ; mais les explique-t-elle toutes ? M. Rambert ne le pense pas, et, selon lui, les contradictions métaphysiques que Pascal signale dans la raison humaine trouveraient aussi bien leur solution dans certain système philosophique, dans la logique de Hegel par exemple, que dans la doctrine de l’illustre croyant. Quant aux preuves historiques invoquées par Pascal, M. Rambert n’a pas de peine à montrer combien elles sont en arrière du progrès de la science exégétique et de l’étude comparative des religions. Et pour éclaircir sa pensée, il introduit ici dans le débat le nom et l’exemple de M. Renan. Il est clair, dit-il, que pour réfuter celui-ci, il faut une autre méthode, une autre tactique et d’autres armes que celles dont usait Pascal en son temps : « les coups du grand athlète ne portent plus. »

Cette manière de voir de M. Rambert effraya fort, à ce qu’il paraît, et scandalisa quelques personnes du parti évangélique, et dans la Bibliothèque universelle du mois de juillet 1858, un homme excellent et respecté, M. Ernest Naville, se fît leur organe par un article intitulé : L’Apologie de Pascal a-t-elle vieilli ? M. Naville étendait de plus en plus et élevait la question. Il ne craignit pas d’aborder la méthode de M. Renan considéré comme le plus récent et le plus ferme adversaire du surnaturel : il se demanda si sa méthode est supérieure à celle de Pascal, et s’il est nécessaire et prudent d’aller précisément sur le terrain de M. Renan pour le com-