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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/628

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PORT-ROYAL.

battre. Il s’attacha à montrer que la doctrine du Péché et de la Chute est encore celle qui rend le plus complètement raison des contradictions humaines, tant de celles du cœur que de celles de l’esprit : « Un avantage marqué de la solution chrétienne, c’est de laisser au Principe de l’univers le caractère auguste de sa parfaite unité ; de ne pas faire remonter jusqu’à l’Essence éternelle la source première de contradictions et de désordres qui restent imputables à la créature seulement. » La conclusion de M. Naville était que, si l’apologie de Pascal manque en effet et si elle est devenue insuffisante sur bien des points, elle subsiste dans son sens profond, dans son esprit même :

« Ses fragments, disait-il, sont encore une source vive de pensées qui conduisent à la vérité, d’arguments qui ne vieillissent pas… L’apologie de Pascal reste utile… Pascal n’a pas seulement fait un livre ; il est lui-même une apologie vivante. Il a soumis ce front glorieux au joug de la foi ; il a prosterné devant la croix de Jésus-Christ cette tête ceinte, aux yeux des hommes, d’une si brillante auréole. Ce fait aussi est un argument. Il ne suffit pas à prouver que l’Évangile soit vrai ; il suffit à prouver que l’Évangile est respectable. »

À ce moment, un esprit ferme, exact, rigoureux, de ceux qui font le plus d’honneur à la nouvelle école théologique protestante, M. le professeur Ed. Scherer, crut devoir intervenir dans le débat, et pour plus de liberté il publia ses réflexions dans la Nouvelle Revue de Théologie (juillet et août 1858). Il dégagea la question de toute complication sentimentale, de toute prévention admirative ; il y appliqua l’analyse la plus subtile et la plus acérée. Il dit des choses hardies, surprenantes, mais fondées, à ce qu’il paraît, sur le strict examen des textes de l’Écriture, et capables de donner fort à songer à ceux d’entre les Chrétiens qui s’y appuient uniquement. Bon Dieu ! que cette terrible étude critique a marché depuis Richard Simon, et quel chemin elle fait encore tous les jours ! Le résultat net que tirait M. Scherer, sa conclusion en ce qui nous touche, la voici :

« L’apologie de Pascal est aujourd’hui nulle ; elle a vieilli, vieilli tout entière, méthode et arguments. Ainsi que l’a dit M. Rambert, il n’en reste que la préface, c’est-à-dire le tableau de la nature humaine. Mais ce tableau n’est pas un moyen d’apologie, c’est une étude morale. Pascal a fait son temps comme apologiste, il n’est plus aujourd’hui qu’un des plus éloquents de nos moralistes. »

Là-dessus grand émoi parmi les Chrétiens évangéliques ; l’honorable M. de Pressensé, directeur de la Revue Chrétienne, homme aimable, affectueux, empressé, écrivain facile, intarissable, de plus de zèle que d’exactitude, de plus de pathétique que de logique, une espèce de M. dePontmartin protestant, de vertueux chroniqueur