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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/65

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LIVRE TROISIÈME.

mort, comme étant la pure doctrine de saint Thomas et de saint Augustin, leur maître. »

On pourrait bien objecter, pour le fond, que saint Thomas vient là un peu en contrebande, que Saint-Cyran ne l’y aurait pas mis, que Jansénius et lui n’auraient pas dit si ferme que c’était là leur créance ; car ils croyaient que les Justes n’ont pas toujours ce pouvoir. Mais, pour le moment, il suffit de remarquer comme cette créance est bien celle du moins de notre bonhomme de Janséniste que voilà, comme il s’échauffe et prend la chose à cœur. Se peut-il un jeu plus naturel ? Sa voix monte, il parle de défendre la doctrine (le contraire de celle qu’on lui impute) jusqu’à la mort. Il est bien vrai qu’il semble un peu bonhomme et ridicule en disant cela, et qu’on le fait un peu tel à dessein. Mais qu’importe ? on n’y regarde pas de si près en ce quart d’heure, et, pour se mieux défendre d’abord, on se fera même ridicule sans y mettre tant de façon. C’est que le rôle commence.

« J’admirerais moins les Lettres Provinciales, a dit M. Villemain, si elles n’étaient pas écrites avant Molière. » Racine, en un jour de colère contre ses anciens maîtres, avait dit dans le même sens : « Et vous semble-t-il que les Lettres Provinciales soient autre chose que des comédies ? »

Voilà dans son sel tout nouveau la première petite Lettre. M. Singlin en fut, à ce qu’il paraît, un peu effarouché ; car que devenaient le ton et l’esprit de Saint-Cyran ? Mais le succès fut immense, et le danger de la situation demandait de grands moyens. On distribua de toutes parts l’écrit, qui faisait huit pages in 4° d’impression. Le libraire ou les amis, en revoyant les épreuves, y avaient mis le titre ; Lettre écrite à un Provincial par un de ses amis ; le public l’appela, pour abréger, la Provinciale, consacrant par cette locution impropre la po-