Aller au contenu

Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
54
PORT-ROYAL.

ce pouvoir prochain qu’Arnauld dans sa lettre à l’évêque de Saint-Brieuc était allé jusqu’à articuler.

« C’est-à-dire, leur dis-je en les quittant (les Jacobins et les disciples de M. Le Moine coalisés), qu’il faut prononcer ce mot des lèvres, de peur d’être hérétique de nom. Car enfin est-ce que le mot est de l’Écriture ? — Non, me dirent-ils. — Est-il donc des Pères ou des Conciles, ou des Papes ? — Non. — Est-il donc de saint Thomas ? — Non. — Quelle nécessité y a-t-il donc de le dire, puisqu’il n’a ni autorité, ni aucun sens de lui-même ? — Vous êtes opiniâtre, me dirent-ils ; vous le direz, ou vous serez hérétique, et M. Arnauld aussi : car nous sommes le plus grand nombre et, s’il est besoin, nous ferons venir tant de Cordeliers que nous l’emporterons. »

Et tout finit par cette pointe : « Je vous laisse cependant dans la liberté de tenir pour le mot de prochain ou non, car j’aime trop mon prochain pour le persécuter sous ce prétexte. » C’est le jeu de mot de Voltaire ou d’Usbek déjà.

Quelques traits de vrai comique ont décelé, en passant, le génie du dialogue que la suite développera. Quand il commence à bien expliquer le pouvoir prochain comme l’entendent les Jacobins : « Voilà qui va bien, me répondirent mes Pères en m’embrassant, voilà qui va bien. » Tous ceux qui ont connu, même de nos jours, de bons Pères, de bons religieux paternes, qui ne sont pas du bord janséniste, n’ont-ils pas couru le risque, en causant avec eux, d’être embrassés de la sorte ?

À propos du Janséniste de la Lettre, et qui est pourtant fort bonhomme, tout janséniste qu’il est, quand l’auteur le prie de lui dire confidemment s’ijr tient que les Justes ont toujours un pouvoir véritable d’observer les préceptes : « Mon homme s’échauffa là-dessus, mais d’un zèle dévot, et dit qu’il ne déguiseroit jamais ses sentiments pour quoi que ce fût, que c’étoit sa créance, et que lui et tous les siens la défendroient jusqu’à la