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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/86

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PORT-ROYAL.

moires manuscrits (et M. de Saint-Gilles était le factotum et l’agent de cette impression), dit positivement que toutes ces Lettres ont été combinées, relues et embellies (ce dernier point seul est douteux), surtout de concert avec M. Arnauld, et aussi avec M. Nicole. Le même M. de Saint-Gilles écrit à la date du vendredi 4 août 1656[1] : « M. Singlin nous a dit en dînant avec nous, savoir avec M. Arnauld, M. Le Maître, M. Pascal, M. de Vaux Akakia[2] et moi, que les ennemis de Port-Royal étoient fort fâchés de ce grand concours de monde qui y venoit (à l’occasion du miracle de la Sainte Épine). » Voilà le tous-les-jours de Pascal durant cette année : il dînait et vivait en compagnie de ces Messieurs. S’il se croit donc en droit de soutenir qu’il n’est pas de Port-Royal à la lettre, s’il ajoute d’un ton d’assurance qu’il est sans attachement, sans liaison, sans relation, cela ne se peut entendre, on l’avouera, qu’en un sens quelque peu jésuitique. Si toutes les Provinciales étaient vraies comme cette assertion-là, il ne faudrait pas trop

  1. Recueil (manuscrit) de Beaubrun, t. II.
  2. Les Akakia étaient toute une tribu à Port-Royal : l’aîné, M. Akakia, surnommé du Mont, était l’un des confesseurs ; il avait plusieurs frères qu’on distinguait sous les noms de MM. du Lac, de Vaux, du Lis, du Plessis, tous les quatre plus ou moins solitaires, et un ou deux d’entre eux, M. de Vaux précisément et M. du Plessis, qui furent avec cela les hommes d’affaires de la maison. Ils descendaient d’un célèbre médecin du seizième siècle qui avait grécisé son nom ou surnom (᾿Aκακία, sans malice), et que Marot a niché à la fin d’un vers, dans une de ses plus jolies Êpîtres :

    De trois jours l’un viennent tâter mon poulx
    Messieurs Braillon, Le Coq, Akakia,
    Pour me garder d’aller jusqu’à quia ;
    Tout consulté, ont remis au printemps
    Ma guérison. … … … … …

    Akakia était un de ces noms prédestinés à servir de jouet à Voltaire, qui s’en affubla si plaisamment dans sa mascarade contre Maupertuis : le malin l’avait retenu pour l’avoir lu dans Marot, ou pour l’avoir entendu autrefois de quelque écho janséniste.