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Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/109

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BÉRANGER.

verve qui datent des dernières années de l’Empire, les poëmes durent perdre de leur sel pour lui et les refrains redoubler de piquant et d’attrait. Reçu au Caveau en 1813, condamné à sa part d’écot en couplets, il ne put s’empêcher d’y porter sa curiosité et son imagination de style, sa science de versification, la richesse de son vocabulaire. Mais longtemps il n’osa confier au refrain que sa gaieté et ses sens. C’était comme un esquif trop frêle, une bulle trop volatile, pour qu’il osât y risquer ses autres sentiments plus précieux. Il ne différait des autres chansonniers, ses confrères, que par la perfection de la forme, l’invention colorée des détails et le jet de la veine. Bon convive avec eux, les suivant sur leur terrain en vrai enfant de la rue Montorgueil, hardiment camarade et vainqueur de l’excellent Desaugiers qui ne s’en inquiétait guère[1], il atteignait déjà au sublime des sens dans la Bacchante, au sublime de l’ivresse rabelaisienne dans la Grande Orgie, à la folie scintillante de la guinguette dans les Gueux. Mais le poëte tenait à part toutes ses arrière-pensées de patriotisme, de sensibilité et de religion, tant de germes tendrement couvés, qu’il refoulait bien avant. Le Jour des Morts, la plus grave erreur, et l’une des plus anciennes, de sa première manière, était une concession de faux respect humain à cette gaieté de

  1. Sur les rapports de Béranger et de Desaugiers, il faut voir, pour plus d’exactitude, l’article Desaugiers, inséré dans la Revue des Deux Mondes du 1er juillet 1845 (et dans l’un des tomes suivants de cette collection des Portraits contemporains). C’est le seul correctif que nous nous permettions d’apporter au présent article.