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Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/141

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BÉRANGER

et un tel bonheur, exploités par un génie qui a su si complètement s’en rendre compte, sont un coup unique dans une littérature[1].

J’ai peu à dire de la préface dont tout le monde aura admiré le ton simple, l’aisance délicate, et cette clarté vive et continue qui caractérise la prose de Voltaire. Mais il est deux autres prosateurs que cette

  1. On n’a pas abordé, dans cet article ni dans le précédent, la question du style, à proprement parler, chez Béranger. Ce style est en général clair, pur, vif, aiguisé de traits justes et imprévus, ennobli d’images. On y relèverait pourtant quelques défauts. On y sent à de certains moments que l’espace manque ; il y a trop de densité, en quelque sorte. Le couplet trop tendu crie à force de pensée, comme une malle trop pleine. Quelquefois le poëte est resté trop fidèle à d’anciens mots du vocabulaire poétique, alarmes, courroux : ainsi, dans la chanson de La Fayette : Il a des rois allumé le courroux. Quelquefois il est obscur à force de malice, ou par gêne de la rime : ainsi, par exemple, point d’Albanèse, et tout ce couplet, dans la chanson de Margot. Quelquefois il y a de la manière et du raffinement mythologique :

    Sur ma prison vienne au moins Philomèle,
    Jadis un roi causa tous ses malheurs.

    Quelquefois on sent la concision pénible et un peu trop marquée, comme dans le refrain de la Cantharide :

    Rends à l’Amour tous les feux que tes ailes
    Ont à ce dieu dérobés dans les airs,

    et dans le refrain d’Octavie :

    Viens sous l’ombrage, où, libre avec ivresse,
    La Volupté seule a versé des pleurs.

    Toutes nos critiques rentreraient dans quelqu’une de celles-là. — Quant à ce que nous disions de l’absence de disciple, Hégésippe Moreau a pourtant montré à certains égards qu’il en était un, et des plus dignes.