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Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/142

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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

préface de Béranger m’a fortement rappelés par la multitude de traits fins, de pensées sous forme d’images sensibles, et de comparaisons brèves dont elle est comme tissue. J’ai noté un petit paragraphe, à la page 32, qui, à l’archaïsme près, est écrit tout à fait dans le procédé de métaphores courantes de Montaigne. Quand Béranger dit que « le pouvoir est une cloche qui empêche ceux qui la mettent en branle d’entendre aucun son ; » et ailleurs « qu’il est des instants, pour une nation, où la meilleure musique est celle du tambour qui bat la charge ; » et encore, lorsqu’il compare les prétendus faiseurs de la révolution de Juillet à ces « greffiers de mairie qui se croiraient les pères des enfants dont ils n’ont que dressé l’acte de naissance ; » cela me paraît étonnamment rentrer dans le goût des locutions familières à Franklin. Ainsi, pour exprimer que trop souvent la pauvreté ôte à l’homme le sentiment de fierté et de dignité personnelle, Franklin disait : « Il est difficile à un sac vide de se tenir debout ; » ainsi, dans le Bonhomme Richard : « Un laboureur sur ses pieds est plus haut qu’un gentilhomme à genoux. » Comme Franklin, dont jeune il apprenait le métier à Péronne, dont plus vieux il renouvelle l’ermitage à Passy, Béranger a l’imagination du bon sens[1]. — Un art ingénieux et délicat règne insensiblement dans

  1. Il n’est pas jusqu’à ce coup de tonnerre avec lequel Béranger eut quelque chose à démêler, enfant, qui ne le rapproche du sage également aux prises avec la foudre, de ce Franklin dont il a le cou volontiers penché, le front tout chauve et les longs cheveux, de celui qui, dans sa gloire, se rappelait sans rougir avoir