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Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/218

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vailla sans relâche, et se forma seul. C’était à la campagne pendant les étés, chez un oncle qui avait une belle bibliothèque ; l’enfant s’y introduisait, enlevait les livres et les dévorait ; il ne se couchait qu’avec son volume. Pièces de théâtre, romans, histoire, voyages, philosophie et sciences, tout y passait, tout l’intéressait ; mais il goûtait les Essais de Morale de Nicole plus que le reste ; à dix ans, il avait lu Jean-Jacques, mais sans trop en rien conclure contre la religion. On voit d’où lui viennent les habitudes solides et anciennes de son style. Il s’essayait dès lors à de petites compositions, sur le Bonheur de la Vie champêtre, par exemple. Vers douze ans, il apprit le grec et parvint à le savoir assez bien sans autre secours que les livres, car il ne rentra plus jamais dans aucune école. Sa dévotion, malgré tant de lectures mélangées, continuait d’être pure et avait des accès de vivacité ; il allait souvent en secret adorer le Saint Sacrement dans des chapelles d’alentour. Mais, ayant été placé chez un curé du pays vers l’âge ordinaire de la première communion, les développements qu’il entendit éveillèrent sa contradiction sur quelques points ; l’amour-propre se mit en jeu ; les arguments philosophiques qu’il avait lus lui revenaient en mémoire. Déjà, plus jeune, il s’était amusé souvent, par pur instinct de controverse, à présenter des objections qu’il tirait de Rousseau ou même du Dictionnaire philosophique, et il voulait quelquefois qu’on lui répondît par écrit. Ceci devint plus sérieux alors ; sa première communion en fut retardée, et il ne la fit qu’après son entier retour à la foi, c’est-à-dire à vingt-deux ans en-