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Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/219

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SÉNANCOUR.

viron. Pourtant, en 1796 ou 97, il envoyait au concours de je ne sais quelle académie de province un discours dans lequel il combattait avec beaucoup de chaleur la moderne philosophie, et qu’il terminait par un tableau animé de la Terreur. L’âge des emportements et des passions survint ; il le passa, à ce qu’il paraît, dans un état, non pas d’irréligion (ceci est essentiel à remarquer), mais de conviction rationnelle sans pratique. Le christianisme était devenu pour le bouillant jeune homme une opinion très-probable qu’il défendait dans le monde, qu’il produisait en conversation, mais qui ne gouvernait plus son cœur ni sa vie. Ce retour imparfait n’eut lieu toutefois qu’après un premier chaos et au sortir des doutes tumultueux qui avaient pour un temps prévalu. Quant à ce qui touche le genre d’émotions auquel dut échapper difficilement une âme si ardente, et ceux qui la connaissent peuvent ajouter si tendre, je dirai seulement que, sous le voile épais de pudeur et de silence qui recouvre aux yeux même de ses plus proches ces années ensevelies, on entreverrait de loin, en le voulant bien, de grandes douleurs, comme quelque chose d’unique et de profond, puis un malheur décisif, qui du même coup brisa cette âme et la rejeta dans la vive pratique chrétienne d’où elle n’est plus sortie. Toutes conjectures d’un ordre inférieur doivent tomber comme grossières et dénuées de fondement[1].

  1. Il serait même possible que notre soupçon sur une passion unique et profonde qu’il aurait ressentie fût excessif et au delà du vrai. On s’expliquerait peut-être encore mieux par cette absence d’emploi en son temps la jeunesse perpétuellement recrudescente