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Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/254

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meuré restreint à une acception trop nationale et trop exclusive, se trouve généralisé selon un esprit plus évangélique par M. de La Mennais, et rapporté à la vraie patrie, à la patrie universelle.

Littérairement, par cette œuvre, M. de La Mennais conquiert, à bon droit, le titre de poëte. Le ton général, le mouvement est rhythmique à la fois et inspiré. L’imprévu se rencontre plutôt dans l’allure de la pensée que dans le détail de l’expression. Celle-ci est toujours correcte, propre, énergique, quelquefois un peu crue ; il y manque un certain éclat nouveau, et, si j’ose ainsi parler, une sorte de flagrance. Ardet plus quam lucet ; cela brûle plutôt que cela ne luit. En comparant le style des Paroles d’un Croyant avec celui de la Vision d’Hébal, on comprendra mieux la double nuance que je distingue. À la rigueur, et à ne s’en tenir qu’au détail de l’expression et à l’ensemble du vocabulaire employé, quelqu’un de Port-Royal aurait pu écrire en cette manière et peindre avec ces images. Il y a même, si l’on peut dire, quelque lieu commun, presque de la déclamation dans le dehors. Mais la jeunesse, la nouveauté vive triomphe à tout moment par la pensée même ; la franchise du sentiment crée la beauté : ainsi, dans le chapitre de l’Exilé : « J’ai vu des jeunes hommes, poitrine contre poitrine, s’étreindre comme s’ils avaient voulu de deux vies ne faire qu’une vie, mais pas un ne m’a serré la main : l’Exilé partout est seul. » Le chapitre de la mère et de la fille n’offre pas une seule couleur nouvelle ; mais Celui qui donne aux fleurs leur aimable peinture, et