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Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/49

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CHATEAUBRIAND.

tions contrastantes où l’auteur les composa. En 1821, M. de Chateaubriand, ambassadeur à Berlin, continue le récit de cette vie de jeunesse. Plus tard, c’est ambassadeur à Londres, qu’il décrira les misères de son émigration. Le premier voyage à Paris, en compagnie de mademoiselle Rose, marchande de modes, qui méprise fort son vis-à-vis silencieux ; l’entrevue avec le cousin Moreau, qui n’est pas le grand général, avec madame de Châtenay, cette femme de douce accortise ; l’amour de garnison au profit de Lamartinière, la présentation à Versailles, la journée de la chasse et des carrosses, tous ces riens plus ou moins légers du monde extérieur sont emportés avec une verve de pur et facile esprit à laquelle le sérieux poëte ne s’était jamais nulle part aussi excellemment livré. On a pu remarquer parfois dans les pages graves de M. de Chateaubriand quelques mots aigus qui font mine de sortir du ton, et qu’un goût scrupuleux voudrait rabattre. Ces mots ne sont le plus souvent que de l’esprit, de la verve comique et mordante, mais qui ne se présente pas en ces endroits à l’état direct et simple. C’est une veine refoulée qui engorge légèrement, pour ainsi dire, un style de plus profonde couleur. Mais dans les pages dont nous parlons, cette veine heureuse circule et joue au naturel ; elle fertilise dans le talent de M. de Chateaubriand des portions encore inconnues.

À Paris, le jeune officier fait connaissance avec des gens de lettres, et négocie, à force d’habileté et d’appui, l’insertion d’une idylle dans l’Almanach des Muses. Parmi ces figures de gens de lettres si vivement éclai-