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Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/360

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et c’est ainsi que vous vous exposez à les faire devenir de véritables passions. Croyez-vous donc que tout aille dans le monde au gré de chacun ? Comptez-vous donc pour rien cette grande vassalité qui nous soumet et nous entraîne à chaque instant ? Étudiez votre cœur, descendez dans votre âme, et lorsque vous apercevrez un sentiment nouveau, cherchez à savoir s’il est raisonnable. N’attendez pas pour éteindre un feu de cheminée que ce soit devenu un grand incendie. Il y a des malheurs sans remède, il faut nous consoler. Il y a des malheurs que notre faute a occasionnés ou empirés, il faut nous corriger. Les petites choses vous agitent, que doit-ce être des grandes ?… Modérez-vous sur les choses indifférentes de la vie, et vous parviendrez à être modéré sur les choses importantes… »

Et pour conclusion finale :

« Ceux qui nous connaîtraient bien comprendraient la raison des inconséquences de Jean-Jacques Rousseau. »

M. Ampère ne retourna pas à Lyon : il resta à Paris, plus actif d’idées et de sentiments que jamais. Il se remaria au mois de juillet même de cette année : ce second mariage lui donna une fille. Cette lettre de M. Ballanche, au reste, sera la dernière pièce confidentielle que nous nous permettrons : elle termine pour nous la jeunesse de M. Ampère. En avançant dans le récit d’une vie, ces sortes de confidences, moins essentielles, moins gracieuses, nous semblent aussi moins permises. La pudeur de l’homme mûr a quelque chose de plus inviolable, et c’est le travail surtout qui marque le milieu de la journée. Dans le récit d’une vie comme dans la vie même, les sentiments émus, cette brise du matin, ne reparaissent convenablement qu’au soir.

Quoi qu’il en ait dit dans la note citée plus haut, M. Ampère, si fortement occupé de métaphysique, ne s’y livrait pas exclusivement. Les mathématiques et les sciences physiques ne cessaient de partager son zèle. Six mémoires sur différents sujets de mathématiques insérés tant dans le Journal de l’École polytechnique que dans le Recueil de l’Institut (des savants étrangers), déterminèrent le choix que fit de lui, en 1814,