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Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 2e série.djvu/333

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à Dieu dans le ciel, comme dit l’Évangile, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté !… Ce sont les anges qui chantent cela ; je me sens comme les anges, et je chanterais avec eux… Qu’est-il donc arrivé ?… Je suis toujours au milieu de vous, mes amis, je suis toujours avec toi, ô mon Ève, ô ma Consuelo ! voilà mes enfants, les âmes de mon âme. Mais nous ne sommes plus dans les monts de la Bohême, sur les débris du château de mes pères. Il me semble que je respire la lumière, et que je jouis de l’éternité… Qui donc d’entre vous disait tout à l’heure : Oh ! que la vie est belle, que la nature est belle, que l’humanité est belle ! Mais il ajoutait : les tyrans ont gâté tout cela… Des tyrans ! il n’y en a plus. L’homme est égal à l’homme. La nature humaine est comprise, reconnue, sanctifiée. L’homme est libre, égal et frère. Il n’y a plus d’autre définition de l’homme. Plus de maîtres, plus d’esclaves… Entendez-vous ce cri : Vive la république ! Entendez-vous cette foule innombrable qui proclame la liberté, la fraternité, l’égalité… Ah ! c’était la formule qui, dans nos mystères, était prononcée à voix basse, et que les adeptes des hauts grades se communiquaient seuls les uns aux autres. Il n’y a donc plus lieu au secret. Les sacrements sont pour tout le monde. La coupe à tout le monde ! comme disaient nos pères les Hussites. »

Mais tout à coup, hélas ! il se prit à pleurer à chaudes larmes :

« Je savais bien que la doctrine n’était pas assez avancée !… Pas assez d’hommes la portaient dans leur cœur, ou la comprenaient dans leur esprit !…

« Quelle horreur ! continua-t-il. La guerre partout ! et quelle guerre ! »

Il pleura longtemps. Nous ne savions quelles visions se pressaient devant ses yeux. Il nous sembla qu’il