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Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/50

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une petite rotonde occupant tout le second étage d’une des tourelles élancées du château. On avait décoré avec recherche cette jolie pièce qu’éclairait une seule vaste croisée dominant les jardins, les bois et les prairies à perte de vue. Un beau tapis turc, des rideaux de damas, des plâtres, un chevalet, de vieilles gravures richement encadrées, un beau bahut de la Renaissance, un dressoir du même style, des livres, un crucifix, un vieux luth peint et doré, une tête de mort, des vases de la Chine, mille détails de ce goût moderne sans ordre, sans plastique et sans but, mais élégant, excentrique, érudit, qui semble vénérer le passé en se jouant du présent : voilà le pandémonium artistique qui frappa les regards du jeune ouvrier. À cette époque le goût des curiosités n’était pas encore descendu dans la vie vulgaire. La boutique de bric-à-brac n’était pas aussi essentielle dans chaque rue de Paris, et même dans les quartiers de la banlieue, que la boutique du boulanger et l’enseigne du marchand de vin. Il était du meilleur ton de rechercher sur les quais ces vestiges ternis du luxe de nos pères. On ne trouvait pas aussi facilement qu’aujourd’hui des ouvriers habiles et savants pour les réparer. Tous les objets pillés dans les anciens châteaux ou proscrits par la mode grecque et romaine de l’empire, et jetés au rebut dans tous les coins du monde, n’étaient pas sortis des greniers et des chaumières, comme la baguette magique de la mode nouvelle les en a tirés depuis quelques années. On ne les imitait pas avec tant d’art qu’il fût impossible de constater leur antiquité ; enfin on les croyait bien plus précieux parce qu’on les croyait plus rares. S’entourer de ces objets hétérogènes et vivre dans la poussière du passé était déjà une mode, mais une mode exquise et répandue seulement dans les hautes classes ou chez les artistes en vogue. C’est de là que partit la littérature des bahuts, des hanaps et des crédences, la