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du Tribunat et abandonna dès-lors la direction de la Décade philosophique. Il fut attaché au comité des finances. La mission des tribuns était de discuter, devant un Corps législatif muet, les projets de lois préparés dans le Conseil d’État et présentés au nom du premier Consul. Mais il n’y avait pas, dans cette combinaison des pouvoirs, une véritable représentation du peuple ; la volonté d’un maître devait désormais prévaloir, et les amis de la liberté s’aperçurent bientôt que le vote des lois allait se réduire à une simple formalité d’enregistrement. L’esprit indépendant de Jean-Baptiste Say ne pouvait s’accommoder du rôle qu’on prétendait lui imposer, et devait le rejeter dans cette opposition courageuse qui résista aussi longtemps qu’elle le put aux atteintes portées à la liberté, et dont on eut plus tard à regretter de n’avoir pas écouté les avis. Ne pouvant ni la convaincre ni la séduire, on prit le parti de l’éliminer du Tribunat.

L’étude et les travaux littéraires offrent des consolations pour les mécomptes de la politique. La classe des sciences morales et politiques de l’Institut avait pendant trois ans de suite remis au concours la question suivante : Quels sont les moyens et ensuite quelles sont les institutions propres à fonder la morale chez un peuple ? Jean-Baptiste Say se décida tardivement à concourir, mais il ne put s’astreindre à suivre le programme indiqué, et, tout en traçant des préceptes, il pensa devoir les mettre en lumière par des applications. Son Mémoire publié en l’an viii a pour titre : Olbie, ou Essai sur les moyens d’améliorer les mœurs d’une nation[1]. L’auteur suppose un peuple, qu’il nomme les Olbiens, qui, après s’être affranchi du joug pesant sur lui depuis des siècles, a pris les moyens les plus propres à réformer ses vices et à faire régner la vertu.

Sans doute la plupart des mesures auxquelles le peuple d’Olbie a recours peuvent paraître d’une efficacité douteuse, mais on trouve du moins dans cet écrit le germe de cette philosophie calme et bienveillante, qui, complétée par l’étude, exposée ensuite avec clarté autant qu’avec grâce, devait conduire le lecteur à aimer en même temps et l’auteur et ses ouvrages.

L’homme isolé est un des êtres les plus faibles de la création, il vit ou plutôt meurt de privations. Ce qui soutient l’humanité, c’est le travail ; le travail n’est profitable qu’avec la séparation des occupations ; et de ce travail divisé naît le droit de chacun au fruit de ses œuvres, d’où le droit d’échanger ce que l’on a contre ce que l’on désire. Pour trouver ample matière aux échanges, il faut que d’autres travailleurs soient de leur côté bien pourvus, et l’homme social est conduit ainsi à désirer la prospérité de ceux qui l’entourent. Les haines individuelles, les haines de peuple à peuple doivent tomber devant une juste appréciation des choses ; chacun est dès lors véritablement intéressé au plus grand bien du plus grand nombre : « On se

  1. Pace 581 de ce volume.