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Page:Say - Œuvres diverses.djvu/16

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plaint que chacun n’écoute que son intérêt, disait Jean-Baptiste Say, je m’afflige du contraire. Connaître ses vrais intérêts est le commencement de la morale ; agir en conséquence est le complément. » L’analyse si nette et si profonde de la théorie des débouchés devait devenir l’argument le plus décisif en faveur de cette philosophie, en même temps qu’un des principaux titres de gloire de l’auteur. C’est ainsi qu’il rattachait la science de la richesse à la morale, et il ne l’en a jamais séparée. C’est en vue de ce but si favorable à l’humanité qu’il écrivait, que « le premier livre de morale fut, pour les Olbiens, un bon Traité d’Économie politique ; ils instituèrent, ajoute-t-il, une académie chargée du dépôt de ce livre précieux, et nul chez eux ne pouvait prétendre aux emplois publics, sans avoir été interrogé publiquement sur cette science. »

Le Mémoire à l’Institut était le précurseur du Traité d’Économie politique qui devait être publié quatre ans plus tard. Il parut pour la première fois en 1803 ; l’auteur était alors âgé de trente-six ans. Ce bel ouvrage, avant même les perfectionnements qu’il devait recevoir de six éditions successives, était déjà une œuvre immense. Les vérités à peine entrevues par les économistes du xviiie siècle, celles auxquelles Adam Smith avait donné la force de ses démonstrations, se trouvaient enfin coordonnées dans un ordre logique ; le champ ouvert à ce genre d’études était reconnu, les limites étaient posées, en un mot, la science était créée ; l’on savait désormais d’une manière précise la place qu’elle devait occuper dans le faisceau des connaissances humaines. Sans doute, l’auteur lui-même a franchi plus tard quelques-unes des barrières qu’il avait élevées ; il a, dans ses autres écrits et dans ses leçons, étendu les applications à faire des principes de l’Économie politique ; mais il y avait une utilité incontestable à commencer par bien établir les lignes principales et les principes fondamentaux d’une branche d’étude à laquelle jusque là on avait refusé le nom de science, à raison même de ses trop fréquents empiétements sur la politique pure et sur la morale proprement dite. Le second titre du livre indiquait nettement les vues de l’auteur ; suivant lui, l’Économie politique était le simple exposé des lois qui régissent la production, la distribution et la consommation des richesses.

Dès son apparition, le Traité d’Économie politique eut un véritable succès et attira sur son auteur l’attention du chef de l’État. Celui qui savait si bien s’emparer de toutes les gloires et de tous les talents au profit de ses vues personnelles, résolut de faire quelques nouvelles tentatives de séduction : à la suite d’un diner à la Malmaison, le premier Consul entraîna Jean-Baptiste Say dans les allées du parc, lui exposant vivement quelles étaient ses intentions pour relever les finances, et cherchant à lui persuader que le succès pratique était ce qu’on devait essentiellement se proposer ; que dès lors les livres étaient surtout utiles, lorsqu’ils justifiaient aux yeux du pu-