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Page:Say - Œuvres diverses.djvu/18

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favori de la cour dans sa réponse à l’ouvrage de M. Necker, c’en est exactement le sens. L’ancien ministre approuva beaucoup l’observation.

De retour à Paris, Jean-Baptiste Say se décida pour la filature du coton. Il avait été témoin de la révolution qu’avait amenée dans cette industrie en Angleterre l’immense découverte d’Arkwright ; des progrès analogues allaient se produire en France ; mais, pour y prendre part, pour savoir commander aux ouvriers, il fallait se rendre maître de toutes les parties d’un art difficile et commencer par travailler de ses propres mains. Des séries complètes de machines enlevées à l’Angleterre, avaient été déposées au Conservatoire : c’est là que M. Say se fit ouvrier ; son fils Horace, alors âgé de dix ans, lui servait de rattacheur ; l’un et l’autre ne tardèrent pas à devenir experts dans leur partie. Pendant ce temps, les machines nécessaires à un établissement étaient commandées ; bientôt elles furent prêtes, et il fallut chercher un local où les mettre en activité. À cette époque, les bâtiments des anciens couvents présentaient de vastes locaux pour l’industrie ; partout le bruit et l’activité venaient occuper les anciennes demeures de la méditation et du repos. Des valeurs capitales restées longtemps stériles étaient ainsi rendues au travail, au grand profit de la société. Ces anciens couvents, toutefois, étaient moins convenablement disposés pour des ateliers, que ne l’eussent été des constructions spéciales ; ils étaient souvent mal situés, entourés de populations peu actives, et l’on perdait ainsi une partie des avantages qu’on allait chercher trop loin. C’est ainsi, appuyé sur son expérience personnelle, que l’auteur du Cours d’Économie politique a pu donner de bons conseils sur le choix des emplacements pour les manufactures.

La filature de Jean-Baptiste Say, placée d’abord dans le bâtiment abbatial de Maubuisson, fut ensuite transportée à Auchy, près d’Hesdin, dans le département du Pas-de-Calais, où elle subsiste encore. Les vastes édifices d’un couvent de Bénédictins offraient des ateliers convenables, et une chute d’eau d’une force considérable devait communiquer la vie à toutes les machines. Cette abbaye était dans un vallon agreste ; mais les abords en étaient difficiles : dans l’hiver les chemins de traverse étaient impraticables ; il fallut faire une route. La population du village n’était point industrieuse, on y voyait des mendiants et beaucoup d’enfants déguenillés ; car, comme l’observe Babelais, l’ombre seulement du clocher d’une abbaye est féconde. Il y avait là une éducation longue et difficile à faire, un monde à transformer. L’activité et l’intelligence du chef devaient suffire atout ; pendant les premières années de son séjour en Artois, il se fit tour à tour mécanicien, ingénieur, architecte, et ne se laissa rebuter par aucun obstacle, s’apercevant cependant, quelquefois, qu’il est plus difficile de faire vivre quatre à cinq cents hommes, que de les faire tuer.

Sous une aussi bonne direction l’établissement prospéra ; partout, dans les environs, on vit l’aisance remplacer la misère, et lorsque, après huit ans,