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retiré, qui passait pour riche, et qui avait une fille distinguée par son esprit et par ses talents.

Les deux époux montent un très-bel escalier qu’on leur indique ; au premier étage, on les introduit dans un appartement meublé sans faste, mais avec une propreté et un goût presque recherchés. Ils demandent à parler à Eugénie de Mirande, et une jeune dame de 22 à 24 ans, pleine de décence et de grâces, se présente à eux, et les fait entrer dans un petit salon où tout indiquait que les talents agréables et les talents plus solides de l’esprit étaient habituellement cultivés. Des livres, des brochures, des cahiers de musique, des instruments, des dessins, troublaient seuls l’ordre qui présidait à l’arrangement de cette maison ; tout y respirait l’aisance, et il était difficile d’imaginer, en y entrant, qu’on y pût faire l’aumône à quelqu’un.

« Je crains, dit Julie, d’avoir fait une erreur. Nous avons lu votre adresse, Madame, sur un billet égaré aux Tuileries ; et nous nous imaginions pouvoir offrir quelques consolations à la personne qui s’y trouve désignée ; mais nous nous apercevons qu’il y a ici beaucoup plus d’agréments à partager que de consolations à répandre. »

Eugénie de Mirande, car c’était elle, leur expliqua, non sans quelque embarras, qu’elle n’était que l’interprète d’une dame fort à plaindre, qu’un reste de fierté obligeait à se tenir cachée, mais qui était digne de l’intérêt qu’on paraissait prendre à elle. « Si cela est, dit Julie, engagez-la à permettre que je la voie ; je ne pense pas qu’elle doive rougir de la visite d’une personne de son sexe, qui n’est pas étrangère à toute espèce de chagrins. » La jeune dame éluda cette demande sous prétexte que sa protégée avait une imagination bizarre qui la rendait difficile à obliger. « Elle a des enfants ? — Trois, Madame, et elle vient de perdre, à la suite d’une maladie longue et dispendieuse, un mari dont le travail fournissait à leurs besoins. — Bon Dieu ! quelle triste situation ! Et quel âge ont les enfants ? — Ils sont tout jeunes, une petite fille de cinq ans est l’aînée des trois. — Madame, dit Julie, je serai bientôt mère moi-même ; c’en est assez pour m’intéresser au sort de ces petites créatures ; malheureusement cette circonstance même m’interdit la satisfaction de me charger du sort de l’une d’elles ; mon enfant réclamera tous mes soins : mais souffrez qu’au moins je vous envoie un petit trousseau pour la jeune fille ; car je ne puis croire qu’avec une protectrice comme vous, cette famille soit exposée aux premiers besoins. »

Eugénie de Mirande se confondit en remercoments au nom de l’inconnue, et accepta, en prenant toutefois le nom et la demeure de Julie C…

À peine était-elle sortie, qu’un jeune homme se présenta dans le même but. « Pardon, Madame, dit-il à Eugénie, ce n’est point vous que je cherche, c’est Eugénie de Mirande… » Même étonnement, même expli-