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Page:Say - Œuvres diverses.djvu/670

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cation. Après avoir entendu ce qu’on lui dit de cette famille infortunée, le jeune homme parut ému, frappé : « Pourquoi faut-il, disait-il d’un ton pénétré, qu’une femme et trois petits innocents restent absolument sans secours, sur un sol fertile autant que le nôtre, et au milieu d’une nation éclairée ? Cela n’accuse-t-il pas nos institutions ? — Vous avez bien raison, Monsieur, mais quel remède y voyez-vous ? — Le remède, Madame, serait de donner un peu de prévoyance à nos Français, de leur faire entendre qu’après le jour de demain il en est un autre, et que lorsque nous quittons la vie nous y laissons souvent la plus chère partie de nous-mêmes. Mais il ne s’agit point de tout cela ici. La position de la personne à laquelle vous vous intéressez est affreuse, et quelles qu’en soient les causes, tâchons de l’adoucir. »

Eugénie se chargea du secours qu’il offrit pour l’inconnue. « Je ne suis point riche, Madame, ajouta t-il ; voilà pourquoi mon offrande est si petite ; mais quand on est garçon et qu’on est sage, on peut toujours disposer d’un peu d’argent. — Monsieur, dit Eugénie, l’argent n’est pas le seul bienfait qu’on puisse offrir aux malheureux ; souvent des soins et des démarches leur sont d’un bien plus grand service. — Votre amie aurait-elle besoin de quelques démarches ? Parlez, Madame ; il n’est rien que je ne fasse à votre recommandation. — Pardonnez, répondit-elle, mon indiscrétion en faveur de mon motif : votre état vous met-il en relation avec le ministre ? — Non, madame, mon père se borne à cultiver une propriété qu’il a dans les environs de Paris ; il a passé sa vie à en doubler la valeur par des soins constants et bien entendus ; mais jamais on ne l’a vu assiéger les avenues du pouvoir ; c’est de quoi je le félicite beaucoup plus que je ne le loue, car on ne fréquente pas les antichambres des gens en place pour son plaisir. Heureusement que je n’en ai pas eu besoin plus que lui. Je me bornerai à partager avec cinq frères ou sœurs qui m’aiment et que je chéris, le patrimoine qu’il nous laissera, et j’espère que jamais le ministre n’entendra parier de nous. Cependant, s’il faut le solliciter en faveur de votre amie, me voilà prêt : de quoi s’agit-il ? — De la réclamation la plus juste, dit Eugénie. La sûreté d’une de nos armées a rendu nécessaire la destruction d’un établissement qu’avait fondé le mari de ma veuve ; elle demande des indemnités. — Faut-il qu’on ait besoin de protection ? — La protection n’est pas nécessaire pour obtenir cela, dit Eugénie, parce que c’est juste ; mais pour obtenir que cette affaire ne s’égare pas dans les bureaux avant de parvenir au Ministre.

Je vois, dit Latremblaye (c’était le nom du jeune homme), qu’il faut mettre sous les yeux du ministre un Mémoire concis et pourtant clair, qui lui fasse vivement sentir la justice de la réclamation. — C’est cela même ; mais il faut le rédiger ce Mémoire. Là, il se lit un silence. Je n’ose vous en prier, dit Eugénie. — Pourquoi non ? répartit vivement le jeune