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Page:Say - Œuvres diverses.djvu/678

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que je m’ensevelisse dans la poussière d’un bureau ? On n’est ici-bas que pour jouir. À quoi sert l’argent, si ce n’est à le dépenser ? Vous êtes un brave-homme, je vous aime à la folie ; faites aller le commerce de votre mieux, et laissez-moi vivre à ma fantaisie. »

Le cher Descombes patienta quelque temps ; mais comme il n’arrive guère qu’on prenne aux affaires des autres plus d’intérêt qu’ils n’en prennent eux-mêmes, il fit sans bruit des démarches pour se retirer ; et ayant trouvé le moyen de s’associer dans une maison où l’on connaissait son talent, il le déclara respectueusement à Mme Préfleury, et la pria d’être convaincue de ses regrets.

Cette pauvre dame avait son mari aux petites maisons, ses affaires en désordre, et une fille à marier ; car le prétendu de Mlle Préfleury, lieutenant de dragons à l’armée d’Italie, et dont elle était fort éprise, venait d’y être tué.

Il fallut bientôt écouler ses marchandises à vil prix, pour faire face à ses engagements. Les marchandises n’ayant pas suffi, il fallut vendre une maison de campagne, puis une maison de ville ; on était accoutumé à une assez forte dépense, on avait contracté des dettes, et il ne restait plus de crédit pour en faire de nouvelles ; et cependant il fallait vivre, il fallait payer la pension de son mari… Que vous dirai-je ? On a vendu des bijoux, puis des meubles, on a renvoyé un M. Martin, vieux cousin, sans fortune, qui faisait les délices de la maison par ses petits vers ; le pauvre misérable est réduit maintenant à vendre ses livres pour subsister. Malgré tous ses sacrifices, Mme Préfleury ne peut éviter de se déclarer en état de faillite, et, pour comble de malheurs, la famille du mari lui demande compte de la fortune.

Voilà, mes chers amis, une des causes que j’ai à défendre : madame Préfleury est une de mes clientes ; mais je suis presque brouillé avec elle. Voici comment la chose s’est passée.

Hier elle est venue me trouver : « Mon cher, m’a-t-elle dit, je suis la plus heureuse des femmes… (Ce début ne laissa pas de me surprendre). J’ai trouvé un excellent parti pour ma fille, un riche Bâlois dont j’ai fait la connaissance, il y a quelque temps, dans une société où nous nous sommes rencontrés. Il fut enchanté d’Eulalie. Je lui ai laissé entendre que lorsque mes affaires seraient arrangées, elle aurait une très-jolie fortune. Nous avons chaque jour quelque nouvelle preuve de sa galanterie. Demain il nous donne un diner champêtre ; il m’a engagée à mener avec moi qui je voudrais ; vous en serez, j’espère. Nous nous amuserons bien ; on mettra la table au milieu des bois ; ce sera une véritable fête villageoise ; j’ai loué des diamants pour ce jour-là ; vous entendez bien qu’au moment d’un mariage, il faut jeter de la poudre aux yeux Que voulez-vous, mon cher ? vous savez ma position mieux que moi-même, et combien je suis pressée d’établir ma