Aller au contenu

Page:Say - Œuvres diverses.djvu/677

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

persa. Lui et moi, nous nous rendîmes dans la maison où nous devions diner et où une société assez nombreuse devait se rassembler ce jour-là. Je lui contai en chemin toutes les infortunes du malheureux père dont il avait tant déploré le sort. Il n’en soutint pas moins sa thèse ; et, tout en disputant, nous arrivâmes.

Après le dîner, le temps était beau ; on proposa une promenade dans le parc de Saint-Cloud. À peine y fut-on, que les uns s’arrêtant dans un bosquet, les autres s’égarant dans une allée, on se trouva bientôt séparé. Mon ami, un avocat célèbre qui avait été l’un des convives, et moi, toujours causant, nous perdîmes absolument le reste de notre compagnie. L’avocat qui parle beaucoup, mais assez bien pour n’être pas appelé babillard, nous entretint d’une foule d’affaires litigieuses, toutes plus bizarres les unes que les autres : en voici une, que je crois devoir rapporter ici, et pour cause.


HISTOIRE DE MADAME PRÉFLEURY.


Préfleury était un commerçant en gros, honnête homme, ayant des connaissances, et ne manquant pas d’esprit ; mais un faiseur de projets, de ces gens qui ont la manie de corriger le monde, et qui s’imaginent follement que les choses peuvent aller moins mal qu’elles ne vont. Chaque fois qu’il se commettait une faute grave en administration, le bon homme avait la migraine pendant huit jours. Confiait-on les deniers de l’État à un fripon reconnu ? plaçait-on dans le ministère, au lieu d’un citoyen probe et laborieux, un homme de plaisirs ? M. Préfleury devenait malade. Il n’a jamais pu s’accoutumer à voir prodiguer à des mimes le produit de contributions péniblement payées. Il ne pouvait supporter qu’en matière d’administration, on décidât d’un trait de plume, et souvent, d’un seul mot, du sort de cent mille personnes. Bref, il en est devenu fou, décidément fou. Il est aux petites maisons, où vous pouvez l’aller voir, et le pauvre diable vous remettra encore un nouveau plan pour opérer la félicité générale.

Pendant que Préfleury s’occupait si efficacement des affaires publiques, les siennes, comme vous pouvez penser, allaient tout de travers. Mais une fois que Mme Préfleury en a eu la direction, cela a été pis encore. S’il se présentait une occasion favorable pour faire une excellente spéculation, alors elle éprouvait un violent désir de se procurer un meuble à la mode, ou des bijoux de prix, et l’argent du commerce passait chez le marchand. S’agissait-il de comparaître en personne dans une affaire litigieuse ? elle était engagée dans une partie de campagne à laquelle elle ne pouvait manquer de se trouver pour rien au monde. Le premier commis de la maison avait beau lui faire des représentations : « Que voulez-vous, mon cher Descombes ? lui disait-elle. Faut-il