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Page:Say - Œuvres diverses.djvu/682

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un chignon et une queue enfarinés, toutes choses de quoi il semblait excessivement fier.

Il n’y avait pas de quoi sans doute ; et je me disais (toujours en moi-même ; car il ne convient pas de penser tout haut sur le compte des aubergistes, non plus que sur celui des potentats) je me disais : Voilà un homme qui perd tous les jours une demi-heure de sa matinée, qui paie un perruquier, fait de la dépense en poudre et en pommade, et use un bonnet de coton dans la plus belle saison de l’année, le tout pour se faire la plus laide et la plus ridicule figure qu’il soit possible d’imaginer.

Il y a apparence que tandis que j’étais appuyé sur ma canne, droit en face de la porte de M. Brisemiche, ces réflexions, ou une partie de ces réflexions ont percé malgré moi sur ma figure ; toujours est-il certain que M. Brisemiche, sans se déranger, s’est mis à me faire une des plus laides grimaces qui se puissent voir.

Ce qui m’a déterminé à poursuivre mon chemin.

Quelques centaines de pas plus loin, passant au bord d’un jardin bien cultivé, j’en ai vu le jardinier qui arrosait une plate-bande de fraises. Oh ! oh ! voilà un brave homme qui se donne bien de la peine inutilement ; il pleuvra cette nuit, sans aucun doute. Quand son arrosoir a été épuisé, je lui ai fait compliment sur la tenue de son jardin : mais je m’étonne, ai-je ajouté, que vous arrosiez ce soir. Ne voyez-vous pas tous ces nuages épais qui roulent dans le ciel ? nous aurons de l’eau.

De l’eau ? a-t-il repris, en branlant la tête ; oh ! que nenni, j’avons caressé notre chat tantôt.

J’ai longtemps cherché quel rapport il pouvait y avoir entre les caresses que cet homme avait données à son chat et la pluie. Il a employé le temps de mes méditations à remplir et à vider de nouveau ses arrosoirs ; alors mettant de côté l’amour-propre, je lui ai humblement demandé ce que je ne pouvais deviner.

Voyez-vous, m’a-t-il dit, quand je caressons notre matou et que son poil pétille, je disons, il n’y aura pas d’eau.

Il ne m’a pas été possible de tirer de lui d’autre renseignement : il a donc fallu continuer ma route, non sans rêver au phénomène de mon jardinier.

Je regardais ce vaste amas de nuages variés dans leurs formes, variés dans leurs couleurs, dont l’ensemble représente si bien le vague des imaginations déréglées. Que d’objets tantôt riants, tantôt effrayants, et toujours bizarres, se succèdent dans ces têtes-là comme dans le ciel ! Tout n’est pourtant que vapeur.

Le chat m’occupait toujours, et je remontais ensuite du chat aux nuages. Si cet homme a observé plusieurs fois le même fait, il y a