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Page:Say et Chailley-Bert - Nouveau dictionnaire d'économie politique, supplément.djvu/216

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MOESER


miroiter des espérances qui ne se réaliseroul jamais et doit être avec raison redouté comme un démagogue dangereux. » Loin donc de méconnaître Malthus, Mario lui reproche au contraire, de n’être pas allé assez loin  : les publicistes libéraux, qui ont imité la ré- serve de Malthus, se sont, déclare-t-il, cons- titués « les chevaliers du vol, du meurtre et de la prostitution ». Selon lui, le mal pro- vient, non seulement de la nature de l’homme, mais encore et surtout des institutions  ; la loi ne devrait accorder l’autorisation de se marier qu’aux couples possesseurs d’un capital déclaré inaliénable pendant la durée du mariage et constituant un héritage assuré aux enfants. Son ardeur l’emporte à l’ex- trémité de condamner l’institution des caisses d’épargne. Grâce aux économies que les ou- vriers y ont déposées pendant les jours prospères, ils n’arrivent en temps de crise qu’à prolonger leur existence misérable et peuvent se livrer inconsidérément à l’instinct de la procréation. Mario en réclame la sup- pression et le remplacement par des caisses obligatoires d’assurance contre le veuvage, la perte des parents, les accidents et la vieillesse.

Bien que réservant à la société la propriété des établissements de crédit, Mario ne voit pas d’inconvénient aux prêts individuels consentis par les sociétaires disposant de sommes de monnaie dépassant leurs besoins.

En somme, Mario, convaincu que le travail n’est pas l’unique source de la richesse, ad- met que pour être productif, il faut y ajouter le concours du capital. Par contre il est non moins convaincu que le capital s’attribue la part du lion et il cherche les moyens de le mettre ix la portion congrue  ; de là des tirail- lements entre ses aspirations philanthropi- ques et sa perception de la réalité, tiraille- ments qui tantôt le poussent sur la pente des réformes utopiques, et tantôt le rappellent en arrière.

MOESER (Justus), né en 1720 à Osnabruck, dans l’Klectorat de Hanovre. Après avoir ter- miné ses études à léna et à Goettingue, il s’établit comme avocat dans sa ville natale, fut successivement nommé secrétaire et syn- dic de rOrdre des Chevaliers, référendaire auprès du gouvernement électoral et enfin conseiller à la justice. Il mourut en 1794.

Malgré les éloges chaleureux que lui décer- nèrent Gœthe, qui dans son autobiographie ( Wahvheit iind Dichtung, XIII’^ livre) l’appelle (f un homme incomparable » et le « Franklin allemand », et Roscher, qui dans son Histoire de Véconomie politique en Allemagne, ne lui consacre pas moins de vingt-sept pages


(pp. .’J00-o27j et l’intitule « le p/»s grand éco- nomiste altonand du xviu’-’ siccle, » Moeser est à peu près inconnu en dehors de l’Allemagne. Cependant, outre son mérite considérable comme historien (dans son Histoire d’Osmi- bruck d’après les sources), il s’est un des pre- miers attaché à tracer un tableau tuièle des mœurs et des institutions économiques et se distingue des caméralistes et des publicistes allemands, ses contemporains, par l’indépen- dance de la pensée  : il pensait par lui-même et ne se laissait pas emporter par le courant du jour. Tandis que tous, ou faisaient chorus pour célébrer la politique absolutiste de Berlin et de Vienne, ou s’engouaient des théories mises à la mode par Rousseau, Moeser ne cachait pas sa conviction « qu’à vouloir tout voir, tout lire et tout décider en personne, un prince agit comme s’il mettait dix mille de ses sujets à la poursuite d’un malheureux renard isolé » et « qu’un bon recueil de ju- risprudence, fondé sur l’expérience, rend plus de services qu’un système, où les raison- nements et les hypothèses tiennent toujours la plus grande place ».

Moeser n’ayant pas laissé d’ouvrage éco- nomique doctrinal, il nous faut aller chercher ses opinions dans les Patriotische Phantasien, collection souvent réimprimée jusqu’à une époque récente, de deux à trois cents articles et essais publiés pour la plupart dans un journal, \ Intelligenz Blatt d’Osnabruck  ; plus d’un siècle après leur apparition, ils ont con- servé toute leur fraîcheur primitive. Moeser manie en maître une ironie douce et voilée, où il se plaît à plaider le pour et le contre et à indiquer plutôt qu’à étaler ses sentiments intimes.

Si par son ton populaire il rappelle Frank- lin, moins la sécheresse, le fond de ses idées politiques est celui de Burke  ; comme Burke, il se méfie de l’analyse et envisage l’homme tout entier, tel que Font façonné le passé et le mifieu dans lequel il a vécu  ; l’égalité absolue n’est possible qu’à l’état de nature et l’état de nature est une fiction, dont le défaut capital est de ne pas exister. Comme Burke, il préfère donc la liberté à l’égalité et la va- riété à l’uniformité et n’aime pas à voir porter une main téméraire sur l’organisation sociale édifiée par les siècles. Il tient pour le régime des droits et des obligations récipro- ques que comportait le vilainage, tel qu’il subsistait encore en Allemagne, et en expose ingénieusement la raison d’être dans un apo- logue où il dépeint la population d’une région menacée par les envahissements de l’océan, s’entendant pour leur résister et grevant ses biens-fonds de redevances envers ceux des habitants spécialement chargés de veiller à la


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