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Prenant le mot dans son sens habituel, nous allons retracer l’histoire entière de ce qu’on a appelé le nihilisme russe et, dans une section spéciale, nous étudierons le nihilisme proprement dit.

2. Le servage en Russie et les tentatives révolu- tionnaires. — Apparition du nihilisme.

La politique extérieure des tzars mosco- vites les poussait, inévitablement, à entrer en relation avec l’Europe occidentale et à lui emprunter certaines formes de sa civili- sation. Dans ce but, Pierre le Grand sup- prima tout ce qui servait de contre-poids à son pouvoir absolu. Il fut secondé dans l’ac- complissement de son œuvre réformatrice par la portion la plus progressiste de la société, qui aspirait à une transformation des institutions. Nous assistons alors à ce phénomène curieux d’une entente entre le gouvernement et le parti avancé, persuadé que toute opposition ne pouvait que retar- der les effets bienfaisants du courant civili- sateur.

Cette étrange alliance se consolida encore après l’avènement de Catherine IL La cor- respondante de Diderot et de Voltaire, l’amie et la protectrice des encyclopédistes, voulut donner la mesure de son libéralisme  : prenant pour base les principes de Montes- quieu et de Beccaria (V, ces noms), elle esquissa une constitution politique et (it venir des représentants de toutes les parties de son empire pour écouter leurs doléances et leurs projets de réforme.

Dès cette époque, pourtant, l’opposition gagne du terrain, et nous voyons apparaître et croître rapidement les premiers germes du mécontentement qui devait donner nais- sance au nihilisme.

La civilisation européenne, transplantée en Russie, n’avait fait que développer les as- pirations à la liberté et à un meilleur ordre social de toute une partie de la société. La situation légale des paysans fit l’objet des re- vendications du parti progressiste. Les habi- tants des campagnes étaient alors générale- ment soumis au dur régime du servage  ; attachés à la terre du seigneur, ils étaient tenus de la cultiver à son profit.

Cet asservissement de la classe rurale, loin d’être adouci par les empereurs péters- bourgeois, fut au contraire généralisé par eux, et rendu plus pesant encore au profit de leurs favoris.

Catherine II, malgré ses idées libérales, l’introduisit dans l’Ukraine. Les habitudes de luxe importées dans l’empire des tzars par la civilisation européenne ne firent que rendre le servage plus rigoureux encore, car


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ce fut la classe rurale qui dut, en définitive, en supporter tous les frais.

Au moment même où éclatait dans l’Amé- rique du Nord le mouvement insurrectionnel d’où devait sortir la répul>lique des États- Unis, les paysans russes se soulevaient à l’appel d’un cosaque, Pougatchew, qui, se faisant passer pour Pierre III, parvint à se créer un parti considérable dans plusieurs provinces. La véritable cause de cette insur- rection doit être recherchée dans le mécon- tentement toujours manifesté de façon gran- dissante par les paysans, depuis la loi de Boris Godounow (2i nov. 1601) leur enlevant le droit de changer de résidence. Ce mouve- ment ne put être dompté qu’au prix des plus grands efforts, et ce ne fut pas sans quelque cruauté que Catherine II arriva à le réprimer.

L’insurrection de Pougatchew avait attiré l’attention du parti progressiste sur la ques- tion du servage. Les écrivains du parti ne se firent pas faute de démontrer tous les désa- vantages d’une pareille condition, et celui qui s’était fait le champion de cette noble cause, Hailichtchew, fut puni de l’exil en Sibérie. Toutes les velléités libérales do Catherine II s’étaient dores et déjà évanouies.

Quelques années plus tard éclatait la Révo- lution française. Craignant la contagion des idées révolutionnaires, le gouvernement prit une série de mesures franchement réaction- naires. Le fils de Catherine II, Paul L’"’, accusa encore cette tendance. L’alliance entre l’ab- solutisme et les groupes progressistes, que nous avons signalée au début, fut à tout jamais rompue. Les principaux membres de ces groupes passèrent dans les rangs d’une opposition qui allait, dorénavant, s’accentuer de plus en plus. Suivons- en les diverses phases.

L’opposition futd’abordlibérale ;elleaccep- tait le programme des libéraux européens du début du XIX’’ siècle. Durant cette première période, à l’exemple de ce qui se passait en Italie où le carbonarisme était à son apogée, nous voyons se former plusieurs sociétés se- crètes, et nous assistons à l’essai d’un pro- nunciamento dans les régiments du midi de la Russie et de Saint-Pétersbourg, le 14 dé- cembre i82o. I/insurrection fut organisée par de jeunes officiers dont les idées fran- çaises avaient pénétré l’esprit à la suite de l’invasion de 1812. Le véritable mobile auquel avaient obéi les décemhristes (ainsi les nomme- t-on) était de protester contre la situation faite aux paysans et de créer, en leur fa- veur, une agitation dans le pays.

Cette tentative fut écrasée et le tzar Nico- las L’’ s’efforça d’étouffer le parti des libéraux.


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