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Page:Say et Chailley-Bert - Nouveau dictionnaire d'économie politique, supplément.djvu/272

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incertains, un résultat des plus heureux, et sur la société et sur l’agriculture. Elles ont contribué, dans de vastes proportions, à mobiliser les terres et à effacer les distinctions qui séparaient les classes rurales. Elles ont contribué à la prodigieuse augmentation de la production agricole qui s’est produite dans la dernière partie du siècle passé et dans le commencement du xixe siècle. La production, pour certaines de ses parties, augmenta même dans une proportion si démesurée qu’elle fut, avec les bouleversements des grandes guerres napoléoniennes et avec les nouveaux changements apportés ensuite par la paix, la cause de la crise agricole qui sévit violemment de 1810 à 1830, et qui fit que, dans les provinces de Prusse, par exemple, la majorité des grands propriétaires perdirent leurs biens. Plus tard, cette même classe de grands cultivateurs du nord de l’Europe a profité énormément de l’abolition des droits d’entrée sur le grain et autres produits, qui eut lieu en Grande-Bretagne de 1846 à 1849, et des demandes qui allaient grandissant, notamment de la part de ce pays dont le développement industriel progressa avec tant de rapidité. Le progrès de ces cultivateurs s’est arrêté à notre époque, dès 1873 et plus encore à partir de 1883, à cause de la concurrence faite par les pays d’outre-mer et en partie aussi par la Russie. Cette concurrence devait être forcément créée par l’énorme développement des moyens de communication et par le développement subséquent de la colonisation. Le moyen d’en triompher, c’est d’agir comme ont agi les cultivateurs anglais, quand, après l’abolition des cornlaws, ils ont restreint la culture du blé au profit des récoltes vertes et de l’élevage, et comme a récemment agi le Danemark lorsque, avec le mouvement des prix, il a changé son exportation de grains en exportation de beurre et du porc. Les droits protecteurs, qui empêchent de telles métamorphoses, constituent une véritable injustice pour les autres classes de la population, et une entrave directe aux transformations qui seules pourraient servir de remède : ils continuent même à stimuler la production improductive et à faire baisser encore davantage les prix.

Tous les projets qui ont pour but d’arrêter la mobilisation des terres, de perpétuer des classes stéréotypées et artificielles, d’empêcher les transactions libres avec les terres, sont également nuisibles dans les cas particuliers et dans leurs conséquences générales. On ne comprendrait guère le retour continuel de ces propositions, notamment chez des auteurs allemands, si l’on ne se rappelait l’histoire antérieure, ces immixtions incessantes de la part du gouvernement, qui trop souvent donnèrent, aux réformes mêmes dont nous avons parlé, un caractère d’arbitraire et de contrainte, peut-être nécessaire, mais condamné presque fatalement à engendrer des conséquences funestes. C’est l’étatisme allemand qui a fait tant de mal à ce grand peuple, c’est encore lui qui régne souverainement dans les idées. Ce n’est guère la peine de suivre en détail ces propositions. Pour celui qui connaît la vie réelle, il est aisé de deviner quelles pourront être les conséquences de mesures telles que la défense de partager ou de consolider les terres, d’hypothéquer, etc.

Parmi le nombre d’auteurs qui ont traité des réformes rurales des divers pays, il en est fort peu qui unissent la connaissance des faits avec la compréhension parfaite des principes économiques et des idées générales. Il est rare de voir un auteur suivre l’influence du développement général sur les esprits. Dans le pays que l’auteur de cet article connaît le mieux, le Danemark, aucune observation ne l’a plus frappé, dans sa vie politique, que celle de cette influence. La coutume des auteurs danois est de vanter, sans discernement, l’ensemble des réformes opérées à la fin du xviiie siècle, y compris la décision de 1790, ordonnant que toutes les fermes paysannes appartenant aux grands propriétaires devraient continuer à être affermées pour la vie du paysan et celle de sa veuve non remariée. Or, comme nous l’avons déjà constaté, cette violation exceptionnelle de la liberté a eu pour effet de maintenir les distinctions de classes et le particularisme des paysans ; elle a, d’autre part, propagé l’idée de la tutelle de l’État à un tel degré que les paysans danois, relativement aisés, ont adopté des propositions presque socialistes, notamment en demandant l’expropriation, à une valeur modique, de toutes les fermes au profit des familles des fermiers actuels. Le sentiment de classe et les idées perverses ainsi développées ont rendu le fonctionnement de la constitution libérale elle-même assez difficile. Ce n’est que par suite de la politique très libérale de la période qui suivit 1848, et surtout grâce à la loi réformatrice de M. Monrad, en 1861, par laquelle on abolit, en même temps qu’on réforma la forme particulière de fermage dit Faste, pour les fermes vendues aux fermiers, cette obligation de les donner en fermage pour la vie, que ces tendances cessèrent, assez lentement cependant, à influer sur la vie politique. Sans doute, l’histoire d’autres pays offrirait des exemples analogues.

En France, comme dans plusieurs des pays du Midi, où la distinction des anciennes