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Page:Say et Chailley-Bert - Nouveau dictionnaire d'économie politique, supplément.djvu/275

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à la cour de la reine Christine de Suède, il vécut en Hollande jusqu’à sa mort. On sait sa polémique avec Milton au sujet de l’exécution de Charles Ier d’Angleterre et les injures grossières que l’illustre poète anglais lui prodigua à cette occasion.

Ses quatre principaux traités sur le prêt a intérêt (A)e usuris, Leyde, 1G38  ; De re nummaria, 1639  ; De fœnore trapezitico, iOiO et De mutuo, 1G48 furent écrits à l’occasion d’une querelle violente qu’avait suscitée le grade de docteur en droit conféré par l’Université d’Utrecht â Kriex, fils d’un banquier, ou Lombard. Quoique la législation répondant aux exigences d’une république commerçante fût déjà très libérale aux Pays-Bas, les préventions contre le prêt à intérêt étaient demeurées vivaces dans le monde des théologiens et Kriex avait été forcé d’attendre la mort de son père pour se présenter, et de prendre l’engagement de renoncer à la profession paternelle. Toutefois la question ayant été portée devant le synode de la province d’Utrecht, un recueil des Réfjlements et oj-donnatice^ ^w la matière, que Kriex publia en y ajoutant quelques observations, déchaîna la guerre. La Faculté de théologie d’Utrecht répondit par une liste de toutes les condamnations prononcées contre l’usure qu’elle publia sous le titre de Res Judkata  ; Kriex répliqua par deux ou trois pamphlets et la lutte s’envenima encore davantage quand un changeur de Leyde, nommé Sébastien Koning, présenta une requête afin d’être admis à la Sainte Table, dont les Lombards avaient été écartés jusqu’alors. La mêlée devint générale et Saumaise, ainsi que Cloppenburg, docteur en théologie et ministre à La Brielle, a qui Saumaise a dédié son traité De Usuris, se constituèrent les champions de la légitimité du prêt a intérêt.

Nous ne sommes plus accoutumés aux pesants et indigestes volumes que, dans leurs controverses, les savants de l’époque se jetaient à la tête. Saumaise était trop de son temps pour ne pas répondre à ses adversaires en déversant sur eux les flots de son érudition  : les citations grecques abondent sous sa plume, qui s’accorde encore la jouissance d’émailler ses écrits de mots hébreux et arabes, mais malgré tout cet appareil, Saumaise a, au dire des juges compétents, écrit l’histoire du prêt à intérêt la plus complète que nous possédions. Ce n’est pas son unique mérite. Instruit au contact de l’activité commerciale et financière des Pays-Bas, il est le premier qui ait fourni une théorie solide du prêt à intérêt contredisant celle d’Aristote et de ses disciples, les canonistes du moyen âge. Ceux-ci avaient concédé la légitimité du prix du louage d’une chuse- ncjn fongible, c’est-à-dire qui ne se consomme pas par l’usage, réservant la désignation de commodat à ce genre de contrat. Saumaise fait valoir avec force que, dans le mutuum ou contrat de prêt d’une chose fongible, c’est-à-dire qui disparait dans l’usage, il est encore bien plus équitable d’indemniser le prêteur du risque plus grand qu’il court, puisqu’il ne peut prétendre qu’à la restitution d’une chose équivalente à la chose prêtée et non pas à cette chose elle-même. Il conteste de même la théorie de la stérilité de l’argent. Comme argument de circonstance, il demande aux théologiens pourquoi ils ont renoncé à exiger l’observance de plusieurs^ autres règles, soit mosaïques, comme la remise septennale des dettes, soit observées dans l’église chrétienne primitive comme la mise en commun de toutes choses et l’interdiction de se livrer a une occupation quelconque dans un but exclusif de lucre.

Non content de cette réfutation des doctrines canoniques, Saumaise, comme je le disais tout à l’heure, a une théorie méthodique du prêt à intérêt. Son allié Cloppenburg devait écrire en 1G40 que c le prêt d’argent constitue une vente d’utilité » et cette définition remarquable pour l’époque pourrait servir d’épigraphe au traité De Usuris de Saumaise et surtout à la préface dont il l’a fait précéder. Cette préface, dont toute affectation d’érudition est bannie, est très logiquement déduite et écrite avec une grande clarté  ; elle serait beaucoup plus connue si l’aspect d’un texte latin du xvi’^ et du xvii« siècle n’avait pas la propriété de rebuter la plupart des lecteurs. Saumaise commence par déclarer que les usures ne sont pas contraires au droit naturel et qu’aux yeux mêmes du droit divin positif, elles n’ont aucun caractère illicite. Un peu plus loin, il revient à la charge pour constater expressément leur origine évidente dans le droit naturel (Sic origo plane a jure nalurali’  ; antérieures au droit positif, celui-ci n’a eu qu’à les sanctionner (Ita impositus fœnori modiis est jure ciiili, cum fœnus ipisuin à jure naturali ortum est). Sa position fondamentale, c’est que le commerce d’argent est un commerce comme un autre et qu’on n’est pas plus en droit d’exiger de services gratuits de ceux qui s’y livrent, que de ceux qui, au lieu de vendre de la monnaie, vendent des marchandises. De cette assimilation, il tire la conclusion qu’il y a des variations naturelles dans le taux de l’intérêt et que, loin d’avoir à redouter l’accroissement du nombre à’^sfixneratores, il faut s’en réjouir, puisque grâce à la concurrence qu’ils se feront, les emprunteurs trouveront