Aller au contenu

Page:Say et Chailley-Bert - Nouveau dictionnaire d'économie politique, supplément.djvu/282

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

CHRÉTIEN — 268 — SOCIALISME CHRÉTIEN


des ouvriers et des patrons. Ainsi, il serait interdit aux patrons de donner moins qu’un certain salaire, lequel serait fixé par exemple par des syndicats mixtes organisés dans les divers métiers. Les mêmes patrons seraient contraints d’assurer aux ouvriers blessés dans leur travail — blessés par n’importe quelle cause, même par leur néi,digence — une in- demnité déterminée  : au besoin, ces patrons seraient, pour le payement des indem- nités, associés forcément entre eux comme on le voit en Allemagne. Ils seraient encore obligés de verser, dans l’intérêt de leurs ouvriers, aux caisses d’assurance et de maladie, que l’État les contraindrait d’établir et de gérer, à moins que cet État n’aimât mieux s’en charger lui-même.

Quelques-uns vont plus loin  : pourquoi l’État ne garantirait-il pas des secours à tous les malheureux? Pourquoi ne s’occuperait-il pas, lui ou les municipalités, de procurer aux ouvriers des logements à bon marché"? Pour- quoi surtout n’interviendrait-il pas pour proscrire les émissions de mauvaises valeurs et les jeux de Bourse qui ruinent tant de personnes ?

Ces idées, par leur équité et leur commodité apparentes, ont gagné beaucoup d’adhérents, surtout parmi les jeunes gens, plus sensibles et plus généreux que réfléchis, et parmi les membres du clergé, témoins ordinaires de la détresse des familles pauvres  ; elles n’ont pas manqué de contradicteurs dans les rangs même des catholiques, les uns et les autres usant de la liberté que l’Église laisse en ces questions.

Plusieurs de ces catholiques se sont groupés à la voix d’un évêque. M’"-’’’ Freppel, et ont été réunis par lui en une SocicW catholique d’éco- nomie politique et sociale qui s’est donné pour but de combattre les imprudentes doctrines qui réclament sans cesse l’intervention de l’État. Elle existe toujours, présidée depuis la mort de son fondateur par Ms"" d’Hulst, aujourd’hui disparu à son tour. Elle compte parmi ses membres les professeurs d’économie politique de toutes les facultés catholiques. L’un d’eux, M. Claudio Jannet, dont la science économi- que déplore la perte, était son vice-j^résident.

Pour ces catholiques, il y a des lois natu- relles, voulues par la Providence, que l’on ne peut changer avec des décrets non plus qu’avec des récriminations. L’amélioration de la situation souvent pénible, en effet, toujours précaire de la classe laborieuse, ne doit pas être cherchée dans quelque organi- sation administrative, mais doit être l’œuvre des particuliers. — Que le législateur inter- vienne pour protéger ceux qui ne peuvent se défendre eux-mêmes  : les enfants, les


femmes dans quelques cas  ; qu’il intervienne encore — mais alors avec une extrême prudence — pour protéger les adultes soumis à un travail excessif et dans des conditions où il leur est impossible de se iléfendre par eux-mèmes,ou bien pour leur assurer le repos du dimanche, là se doit borner son action. Il l’excède lorsqu’il prétend régler les salaires ou la durée des journées de travail alors qu’elle n’a rien d’excessif.

Il ne manque pas moins à son devoir lorsque, sans contraindre les particuliers, il impose, en cas d’adjudication de travaux publics, ces conditions aux entrepreneurs parce que, d’une part, il rend ces travaux plu& coûteux, et que, d’autre part, il pèse ainsi indirectement sur les contrats privés.

Ils n’admettent pas davantage que les chefs d’industrie soient contraints d’assurer leurs ouvriers et de leur payer des indemnités alors qu’ils n’ont commis aucune faute  ; pas plus qu’ils n’admettent que tout individu dans le besoin ait droit de réclamer des se- cours. La charité est belle, mais ne peut être- imposée  ; son essence est d’être libre.

L’affaire du gouvernement n’est pas non plus de fournir des logements ou dos denrées- à prix réduit, ni de diriger le choix des capi- talistes en quête de placement  ; il y aurait là une distinction à faire qui excède sa capa- cité 1.

C’est de l’initiative privée qu’ils attendent la réparation des inconvénients et des maux qui sont réparables. Et tandis qu’ils sollicitent les ouvriers de se souvenir que cette vie est transitoire et que c’est dans une autre, éter- nelle et meilleure, que se fera le redresse- ment de toutes choses, ils pressent les patrons de se rappeler qu’ils ont des devoirs de quasi paternité à remplir envers leurs ouvriers et qu’ils ne sont, en conscience, pas quittes envers eux pour avoir exactement payé le salaire convenu. Et comme l’individu isolé est faible d’ordinaire et toujours mortel, ils sollicitent et les patrons et tous autres citoyens de s’associer et d’établir, en faveur de leurs ouvriers ou des malheureux de divers ordres, des fondations qui rendront durable le bien qu’ils veulent faire.

Quant aux pouvoirs publics, ils ne leur demandent qu’une chose, c’est de ne pas empêcher ce bien, c’est-à-dire de reconnaître et aux associations et aux fondations la liberté


1. Celte question est toute spéciale et teclinique. Sans entrer dans le détail, voici comment elle se peut résoudre  : Qu’il y ait des lois rigoureuses contre la fraude et surtout que le pouvoir public les fasse exécuter, mais qu’on n’aille pas accorder à l’État l’exorbitant et dangereux pouvoir d’autoriser ou iiou à sa fantaisie les émissions de valeurs et surtout la création des sociétés anonymes.


SPI.