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Page:Say et Chailley-Bert - Nouveau dictionnaire d'économie politique, supplément.djvu/32

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que la secte nous promet dans Tavenir.

L’anarchisme compte enfin de nombreux partisans aux États-Unis, où l’agitation ou\Tière s’est développée avec la même in- tensité que dans le vieux monde, à mesure que le pays s’est plus peuplé, et à la suite des fréquentes crises industrielles. Les doctrines anarchistes ne répugnent pas au tempérament de l’ouvrier américain, singu- lièrement individualiste goûtant peu le so- cialisme d’État, dressé dans le Far West a la pratique du selfhclp, à la justice expéditive de la loi de Lynch, et auquel le gouverne- ment laisse toute licence, même le droit de s’organiser et de s’exercer en bataillons armés. Ce furent cependant des Allemands, chassés deleurpayspar la loi de 1878 contre les socialistes, qui répandirent dans les États de l’Union les nouvelles doctrines. En 1882, Most, au sortir d’une prison anglaise, transportait son journal à rsew-York, et commençait une campagne d’orateur et d’agitateur. Le premier résultat fut la fondation de Vbiternational Wûi’hing People Association, qui tint un congrès à Pittsburg en 1883, — où vingt-six villes étaient représentées, — élabora un pro- gramme, et déploya un nouvel étendard substitué au drapeau rouge, le drapeau noir, symbole de la faim, de la misère et de la mort. Chicago, avec sa population ouvrière en grande partie d’origine allemande, devint un centre d’agitation intense. 11 y eut un bureau d’informations en rapport et solidarité étroite avec les anarchistes européens  ; des journaux, YAlarm Arbeiter Zeitung étaient répandus à profusion. La grande crise, qui durade 18S4àl8So, l’ut favorable aux progrès de l’anarchisme comme à ceux du socialisme. D’abord indifférents au mouvement pour la journée de huit heures, inauguré par la Fédération du travail, les principaux anar- chistes en prirent la direction à Chicago. Là, une importante grève amena, le 3 mai 1886, un conflit avec la police. Du milieu de la foule, sommée de se disperser, une bombe fut lancée, qui tua quati’e policiers et en blessa grièvement une soixantaine. A la suite de cet attentat, sept anarchistes furent condamnés à mort, dont cinq étaient Alle- mands. L’International Workiny People Asso- ciation fut anéantie. On a vu refleurir les procédés anarchistes, tentatives de meurtre par le revolver, par le poison, lors de la grève des usines Carnegie, en 1892.

Aux États-Unis, comme dans les autres pays, l’anarchisme qui attire à lui les éléments les plus ardents, les plus indisciplinés de la classe ouvrière, est en lutte avec le parti socialiste politique. On dénonce les anarchis- tes comme des êtres compromettants, des


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agents provocateurs, des stipendiés ou des fous, en opposition complète avec la tendance des classes ouvrières, qui est avant tout de s’organiser, de s’emparer des municipalités par le vote et, dès qu’il se pourra, des Par- lements. Après les bourgeois, les anarchistes sont ceux que les opportunistes du socia- lisme délestent le plus. Ils considèrent même la secte comme « une effervescence natu- relle du bourgeoisisme, l’extrême individua- lisme économique conduisant à cet autre extrême, l’anarchie  ; les moyens d’action et de propagande étant seuls différents ». Il est vrai que Kropolkine traite à son tour Karl Marx d’économiste bourgeois.

Au congrès international de Zurich, en août 1893, les anarchistes ont été exclus à une grande majorité  ; les délégués belges étaient favorables à leur admission  ; les Français se sont abstenus. Les anarchistes ont tenu un congrès pour leur propre compte.

11 est très malaisé d’évaluer leurs forces,, car ils ne votent pas. Il ne semble pas qu’ils disposent de ressources importantes. Ce ne sont pas des capitalistes, comme le parti socialiste allemand et les Traders Unions an- glaises. Leurs journaux nous fourniraient un chiffre approximatif de ceux qui sympa- thisent avec eux, si nous en connaissions le tirage. Les premières feuilles anarchistes,, le Révolté publié vers 1880, à Lyon, puis le Droit social étaient presque sans lecteurs. Le préfet de police Andrieux a raconté dans ses Mémoires qu’un autre organe de l’anar- chisme, en France, la Révulution sociale, fut entretenu par les fonds secrets de la préfec- ture, à l’insu des collaborateurs principaux, en particulier de Louise Michel. La Révolte, journal hebdomadaire de Kropotkine et d’Elisée Reclus, transportée de Suisse en France, en 1885, à la suite de l’attentat anar- chiste de Berne contre le palais fédéral, tirait en dernier lieu à huit mille cinq cents exemplaires, dont un dixième seulement pour les abonnés ’ . Elle était en partie rédi- gée par Jean Grave, dont l’arrestation a ex- cité de vives sympathies dans le monde des lettres. La Révolte est un journal philosophi- que qui s’applique à la classe cultivée, tandis que le Père Peinard parle au peuple la langue du peuple et lui souffle des pensées de crime. L’image hallucinante vient s’ajouter au texte incendiaire. Joignez à cela les alrna- nachs, les brochures. Les anarchistes comp- tent quatorze journaux de langue française (mais tous ne paraissent pas en France, et ce chifl’re comprend de petites revues déca- dentes, plus littéraires que politiques), deux

1. Le Péril anarchiste.


A.