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Page:Say et Chailley-Bert - Nouveau dictionnaire d'économie politique, supplément.djvu/41

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fut possible de détruire l’œuvre législative des siècles, il fut impuissant h. défaire leur œuvre morale ; émancipés légalement, les juifs ne l’étaient pas moralement.

Le moi judaïque n’étant pas changé, la façon dont ce moi se manifestait ne le fut pas davantage. Les juifs resteront ce qu’ils étaient, ils exercèrent la même action économique, suscitèrent encore les mêmes sentiments. Ce siècle vit tomber une à une toutes les lois qui restreignaient dans l’Europe occidentale les droits des juifs, et dans notre temps rantisémitisme devint purement littéraire  ; il ne fut plus qu’une opinion, opinion (|ui tendit, il est vrai, à restaurer la législation ancienne.

Dans une partie seulement de l’Europe orientale, en Roumanie et en Russie, l’anti-sémitisme est resté légal et persécuteur.

Antisémitisme dans l'Europe orientale. — En Roumanie, tant que les juifs dépendirent des boyards dont ils étaient les fermiers d’impôts et d’alcool, ils n’eurent à supporter que les colères populaires. La persécution officielle contre eux commença seulement en 1836, lorsque la Roumanie se donna un régime représentatif et qu’ainsi le pouvoir tomba aux mains de la classe bourgeoise. Des mesures restrictives furent prises dès lors, malgré le traité de Paris de 1850, qui reconnaissait aux Moldo-Valaques la jouissance des droits civils, sans distinction de religion ; c’est à l’aide d’une fiction d’après laquelle les juifs étaient considérés comme étrangers que le gouvernement roumain put prendre contre eux des décisions vexatoires.

Quelles sont les causes de ces sentiments"? Elles ne sont pas uniquement religieuses, mais surtout nationales et économiques. Très isolés, très retirés, très exclusifs, les juifs roumains furent victimes de leur isolement  ; se trouvant dans un État qui naissait et où les passions patriotiques étaient singulièrement excitées, ils furent considérés comme un danger par les panroumanistes qui leur reprochaient de former un État dans l’Étal, et qui d’autre part ne voulaient pas permettre aux juifs d’altérer la pureté de leur race roumaine en s’unissant à elle. La concurrence que les juifs faisaient à la bourgeoisie roumaine acheva de provoquer la législation d’exception, qui ne fut autre chose qu’une législation protectionniste, propre à favoriser le commerce de la bourgeoisie nationale au détriment des concurrents juifs et étrangers. C’est donc au protectionnisme national et au patriotisme ethnique qu’il faut ramener les diverses causes de l’antisémitisme roumain.


— ANTISÉMITISME

Nous trouvons ces mêmes causes en Russie, où la situation des juifs est encore plus dure. On les refoule dans un territoire spécial, les entassant ainsi dans les villes, où les conditions d’existence sont pour eux effroyables, puisque la plupart des métiers, des états et des professions leur sont interdits, et que la masse juive est une masse ouvrière réduite au chômage une partie de l’année, ne trouvant du travail pendant l’autre partie qu’à condition de se contenter de salaires dérisoires dont le taux s’est abaissé à 40 et 50 kopeks par jours.

Ces traitements, disent les antisémites, sont infligés aux juifs parce que ces quatre millions et demi d’hommes exploitent et ruinent 90 millions de Russes. Comment ? Par l’usure. Or les neuf dixièmes des juifs russes ne possèdent rien ; quant au dixième composé de riches, qui peuvent faire l’usure, puisque la minorité infime des préteurs des villages a été chassée et renfermée dans les villes, ce dixième restant bénéficie d’une situation privilégiée. Ce n’est du reste pas l’usure qu’on poursuit puisqu’on n’inquiète pas le Koulak (paysan prêteur) qui exploite durement le paysan russe. Il en est de même du reproche qu’on fait aux juifs d’exciter à l’ivrognerie, car c’est dans le pays du Nord, on il n’y a pas de juifs, que, naturellement, l’ivrognerie est la plus répandue, et, en outre, on n’a pas pris de mesures contre les débitants chrétiens, plus nombreux que les débitants juifs.

L’antisémitisme en Russie est provoqué par des causes politiques et religieuses. Il est moins populaire qu’officiel. Au cours delà lutte des tsars contre le libéralisme, on vit un moyen de défense du vieux monde dans le retour aux idées orthodoxes. Tout le mal, dit-on, vient de l’étranger, de l’hérétique ; c’était la théorie d’Ignalieff, c’est celle de Pobedonostsef et du Saint-Synode encore. On se précipita contre les juifs, de même qu’on prit des mesures contre les Allemands, les luthériens, les catholiques, les non-slaves et les non-orthodoxes. Les non-orthodoxes surtout, car pour le Russe, il s’agit plus encore de conquérir l’unité religieuse que l’unité ethnologique, et la meilleure preuve que l’antisémitisme est d’origine religieuse, c’est que la loi russe encourage le juif à venir cà l’orthodoxie ; elle lui donne des avantages pécuniaires, s’il veut entrer dans l’Église grecque, quoique le juif converti n’abandonne pas sa condition sociale, surtout s’il est intermédiaire, capitaliste, ou prêteur.

L'antisemitisme dans l’Europe occidentale. — Les juifs émancipés pénétrèrent dans les na-