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Page:Say et Chailley-Bert - Nouveau dictionnaire d'économie politique, supplément.djvu/42

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MITISME


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ANTISÉMITISME


tions comme des étrangers. Ils étaient sem- blables à un troupeau parqué, soudain les barrières tombèrent et ils se ruèrent dans le champ qui leur était ouvert. Tribu de marchands et d’argentiers, armés par la pra- tique même du mercantilisme de qualilés qui devenaient prépondérantes dans la nouvelle organisation économique, il leur fut facile de s’emparer du commerce et de la finance, et il leur était impossible de ne pas agir ainsi. Comprimés pendant des siècles, ils avaient acquis une formidable force d’expansion qui ne pouvait s’exercer que dans un certain sens  ; le jour où on les libéra, ils allèrent droit devant eux. L’état de choses les favo- risa d’ailleurs. Au milieu de tous les grands bouleversements, intellectuels, sociaux, mo- raux el économiques qui marquèrent les débuts de ce siècle, les juifs furent les seuls à être libres  ; nul lien ne les attachait au passé, aucune des idées ataviques des ci- toyens des nouveaux États ne pouvait influer sur leur conduite, leur intellectualité et leur moralité. Ainsi, sans entraves, et possédant des tendances spéciales, ils s’adaptèrent merveilleusement aux conditions écono- miques nouvelles.

Avec la Révolution, avec la suprématie de la noblesse avait disparu la suprématie du capital foncier, et la suprématie de la bour- geoisie amena la suprématie du capital industriel et agioteur. L’émancipation du juif est liée à la prépondérance de ce capital industriel. Tant que le capital foncier détint le pouvoir politique, le juif fut privé de tout droit. Le jour où le pouvoir politique passa au capital industriel, le juif fut libre, car il était pour la bourgeoisie un aide pré- cieux. De fait, il aida puissamment au grand développement industriel qui sui- vit 1813  ; il fut un des plus actifs à f ;iire pré- valoir le système de l’association des capi- taux, ou du moins à l’appliquer, et il fat d’autre part, au premier rang du mouvement libéral qui, de 1815 à 1848, acheva d’établir la domination de la bourgeoisie. Ce rôle du juif n’échappa pas à la classe des capitalis- tes fonciers et ce fut là une des causes de l’an- tisémitisme des conservateurs. Mais lorsque la bourgeoisie eut définitivement assis son pouvoir, elle s’aperçut que son allié juif n’était qu’un redoutable concurrent et elle réagit contre lui. Ainsi les partis conserva- teurs, généralement composés de capitalistes agricoles, devinrent antijuifs dans leur lutte contre le capitalisme industriel et agioteur que représentait pour eux le juif, et ce capi- talisme industriel et agioteurdevint à son tour antijuif à cause de la concurrence juive. De religieux, l’antijudaïsme devint écono-


mique ou, pour mieux dire, les causes reli- gieuses, jadis dominantes, furent subor- données aux causes économiques et sociales.

3 . Les variétés de l’antisémitisme  ; ses griefs.

Comment se traduisit ce nouvel antisémi- tisme ? Par des écrits qui représentaient ou provoquaient des courants d’opinion. Sans énumérer ces écrits, qui sont innombrables, on peut ramener les diverses variétés de l’antisémitisme à trois  : l’antisémitisme chré- tien, l’antisémislisme économique, l’antisé- mitisme ethnologique, qui exposent contre les juifs des griefs religieux, sociaux, ethno- logiques, nationaux, intellectuels et moraux. Pour les antisémites le juif est un individu de race étrangère, incapable de s’adapter, hostile à la civilisation et à la foi chrétienne, immoral, antisocial, d’un intellect différent de l’intellect aryen, et en outre prédateur et malfaisant. Examinons les griefs et voyons comment ils correspondent à la réalité.

Le grief ethnologique ne s’appuie sur aucune base sérieuse et réelle, l’opposition des aryens et des sémites est factice  ; il n’est pas vrai de dire que le juif est un peuple un et invariable, et que la race aryenne est une race pure. Le sang sémite et le sang aryen se sont trop mêlés au cours des âges pour qu’une telle théorie soit soute- nable. Mais si les juifs ne sont pas une race, ils sont une nation, car ils ont encore cette unité de sentiment, de pensée, d’éthique qui fait les nationalités. Les juifs eurent jadis une religion, des mœurs, des habitudes, des coutumes pareilles  ; ils furent assujettis aux mêmes lois, civiles, religieuses, morales, restrictives ; ils vécurent dans de semblables conditions ; ils eurent, dans chaque ville, un territoire : le ghetto  ; ils parlèrent la même langue, ils jouirent d’une littérature et spéculèrent sur les mêmes idées ; ils eurent de plus la conscience qu’ils étaient une nation, qu’ils n’avaient jamais cessé d’en être une. Encore aujourd’hui, le judaïsme est un ethnos, puisqu’il croit l’être ; il a gardé ses préjugés, son égoïsme et sa vanité de peuple. Aussi, en persistant, il est apparu comme étranger encore aux peuples dans le sein duquel il subsiste, et l’antisémi- tisme est une des façons dont s’est manifesté et se manifeste encore le principe des natio- nalités, un résultat de la tendance des nations à l’homogénéité et de leur effort pour réduire les éléments hétérogènes qu’elles con- tiennent. Le juif résistant partout à cet effort, l’antisémitisme est né tout naturellement de cette action et de cette opposition.

Quant aux griefs sociaux, religieux et politiques, ils consistent à dire que toute


ANTISKMll’