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Page:Schiff - Marie de Gournay.djvu/49

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de son second père, la fille d’alliance s’est prise comme type d’humanité et comme, à son regret caché, elle était femme, elle s’est considérée comme le représentant caractéristique de son sexe. Or quand on se prend pour type, il faut avoir le jugement très ferme pour ne pas se donner comme modèle à ceux pour qui l’on se décrit. Sur ces deux points Marie de Gournay s’écarte de son maître qui faisait, on le sait, peu de cas des femmes, et qui s’observait sans prétendre d’ailleurs s’imposer aux autres.

Les passionnés et les sincères ont toujours été une proie facile pour les moqueurs. Bas-bleu, féministe, éprise de ses chats, polémiste imprudente, amie des missionnaires, Marie n’avait même pas, pour se défendre, la beauté qui fait que les hommes pardonnent parfois aux femmes d’aimer ce qu’ils n’aiment pas. Son ami le cardinal Du Perron répondait à ceux qui l’interrogeaient sur la vertu de la demoiselle, qu’il suffisait de la regarder pour en être convaincu[1]. On s’acharne contre elle dans « le Remerciment des Beurrieres de Paris »[2], à cause de sa défense des Jésuites.

  1. À ce propos les Perroniana racontent ce qui suit : « Comme Monsieur Pelletier luy disoit un jour, qu’il avoit rencontré Mademoiselle de Gournay, qui alloit presenter requeste au Lieutenant Criminel, pour faire defendre la defense des beurrieres, parce que là dedans elle est appellée coureuse, et qui a servi le public ; il dit, je crois que le Lieutenant n’ordonnera pas qu’on la prenne au corps, il s’en trouveroit fort peu qui voudroient prendre cette peine, et pour ce qui est dit qu’elle a servi le public, c’a esté si particulièrement qu’on n’en parle que par conjecture, il faut seulement que pour faire croire le contraire, elle se fasse peindre devant son livre. »
  2. Anti-Gournay, ou Remerciment des beurrieres de Paris au sieur de Courbouzon Montgommery, Niort, 1610. Feugère remarque qu’on a parfois fait deux ouvrages de ce pamphlet qui a un double titre. Cf. Mademoiselle de Gournay dans Les femmes poètes au xvie siècle (deuxième édition), (Paris, 1860), p. 155, n° i.

    Cet érudit, qui est en général bien informé, se trompe ici. Le Remercîment, décrit avec précision par Bayle dans son Dictionnaire, n’a pas de double titre. Il est probable que l’Anti-Gournay dont parle Baillet n’est pas autre chose que le Remercîment et que l’auteur des Jugemens des savants a créé une énigme qui repose sur une confusion. La cause de ces erreurs est l’extrême rareté de l’opuscule qui nous occupe. Un exemplaire de cette petite brochure (29 p.) se trouve à la bibliothèque publique de Niort.

    Dans cette réponse au Fléau d’Aristogiton, de Louis de Montgommery, sieur de Courbouzon, qui attaquait l’auteur de l’Anti-Coton, on houspille les amis des jésuites. Mademoiselle de Gournay y est nommée clairement à trois reprises et une fois d’une façon déguisée.

    p. 3 . « Monsieur de Courbouzon Montgommery, le ressentiment que nous avons du grand soin et vigilance, que prenez dès long temps à fournir d’enveloppe la marchandise de nostre communauté, et après avoir chacune des Beurrieres rapporté en nostre chapitre general tenu à Saincte Babylle, jouxte le Parloir aux Bourgeois, l’assistance et prompt secours qu’elle a receu particulièrement à la cheute des fueilles de vignes par la copieuse et large distribution de vos livres, et singulierement par la defense magnifique des Peres Jesuites, que suivant la trace et les memoires de la Damoiselle de Gournay, qui a tousjours bien servy au public, vous avez faict publier depuis huict jours en çà. »

    p. 8. « Il est bien vray que depuis n’agueres, ils se sont presentez quelques mal habiles gens qui ont voulu entreprendre sur vos marches, et vous desrober vostre chalandize, comme un certain Peletier, et la Damoiselle de Gournay, pucelle de cinquante cinq ans, qui s’y sont meslez de publier des defenses pour les Jesuites, comme ayans interest en cause sous pretexte qu’ils ont esté rappellez et restablis à la poursuitte, brieve, et solicitude du Postillon general de Venus. »

    p. 11. « Ce pauvre homme me faict pitié. Helas, ne sçait-il pas bien que le Père Coton s’estant veu froté et estrillé en compere et en amy par l’Anticoton, et ne sçachant dequoy y respondre, apres avoir esté mendier des memoires de toutes parts, qui tous ne valoient rien, et par la confrontation se trouvoyent faux, afin qu’il ne semblast poinct par un silence universel advouer ce qui luy a esté objecté, s’est premièrement adres (p. 12) sé à une Damoiselle Carabine qui pour la defense de ce venerable, a eu bien tost uzé la pouldre de son fourniment, et puis ayant enseigné au sieur de Courbouzon, le marchant chez lequel on prend ceste munition, luy ont faict joüer l’enfant perdu, le Père Coton se tenant tousjours au gros de la bataille qui regarde faire les autres en attendant l’heure de donner ou de s’enfuir. »

    p. 20. « Or ce qu’il dit et allegue de Calvin et de Luther, le bon seigneur n’a pas mis le nez si avant dans leurs livres, ce sont les memoires que le Père Coton vouloit insérer premierement en sa lettre declaratoire mais l’ayant communiqué à un de Messieurs les gens du Roy auparavant que de la faire imprimer, il luy (p. 21) conseilla sagement de retrancher ces allegations de sa lettre, pour beaucoup de raisons, et pour sauver l’honneur du pauvre here. Depuis neantmoins il les donna à la pucelle de Gournay, et de là par une traditive sont venus jusques au sieur de Courbouzon. »