Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/125

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et tout aussi peu les éloges de mes collègues ; mon dessein est autant dire entièrement en dehors de la sphère des leurs, et ne saurait guère ressembler à ce qu’ils désirent voir et entendre. La plupart crient au secours en déplorant la décadence de la religion ; je ne fais pas chorus avec eux, car elle n’a été accueillie par aucune époque, que je sache, mieux que par l’actuelle ; je ne me mêle donc en rien aux lamentations barbares, inspirées d’une vieille foi primitive[1], par lesquelles leur voix voudrait faire ressurgir les murailles écroulées de leur Sion juive et ses piliers gothiques. Je suis pleinement conscient du fait que, dans tout ce que j’ai à vous dire, je renie complètement ma profession ; pourquoi, par conséquent, ne la ferais-je pas connaître comme n’importe quelle autre circonstance fortuite ? Les préjugés qui lui sont chers ne doivent pas être pour nous un obstacle, et les [5] bornes qu’elle pose comme des limites sacrées à toute interrogation et à toute communication n’existeront pas entre nous. C’est en tant qu’homme que je vous parle des saints mystères de l’humanité tels que je les considère, de ce qui était en moi alors que je cherchais encore l’inconnu, avec l’exaltation enthousiaste de la jeunesse, de ce qui, depuis que je pense et vis, est le ressort le plus intime de mon existence, et restera éternellement pour moi la chose suprême, en quelque sens que les oscillations du temps et de l’humanité puissent encore faire balancer mon esprit. Le fait que je parle ne résulte pas d’une décision raisonnée, et pas davantage d’un espoir ou d’une crainte ; il ne répond pas plus à un dessein prémédité qu’il n’est l’effet d’une cause arbitraire ou fortuite ; ce qui m’y pousse, c’est la nécessité intime, irrésistible de ma nature, c’est une vocation divine, c’est ce qui détermine ma place dans l’univers et fait de moi l’être que je suis. Il est possible qu’il ne soit ni convenable ni prudent de parler de la religion, mais ces considérations mesquines sont étouffées par la force céleste qui m’y pousse.

Vous savez que la Divinité s’est imposé à elle-même, par une loi immuable, la nécessité de dédoubler jusqu’à l’infini sa grande œuvre, de ne créer toute existence déter-

  1. Altgläubig, allusion aux mouvements tendant à son retour à la foi primitive.