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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/128

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exagérer que d’en déprécier la valeur, vu qu’il est ordinairement une œuvre magique de la nature jouant avec les idéaux de l’homme, et rarement le résultat d’une éducation de soi-même appliquée et menée à bien. Cependant, si tous ceux qui ne sont pas situés aux extrémités se trouvaient placés à ce même point, aucune liaison entre elles et le milieu ne serait possible, et le but final de la nature serait tout à fait manqué. Les mystères d’une combinaison ainsi figée dans l’immobilité ne peuvent être pénétrés que par le spécialiste qui est en même temps un penseur ; les éléments composants particuliers y sont entièrement cachés à l’œil du vulgaire, qui n’y distinguerait jamais ni ce qui lui est propre ni ce qui s’oppose à lui.

C’est pourquoi en tout temps la divinité envoie par-ci par-là quelques hommes chez qui les deux extrêmes se rencontrent en une union féconde ; elle les arme de dons merveilleux, [10] aplanit leur voie par un mot tout-puissant, et les institue interprètes de sa volonté et de ses œuvres, médiateurs de ce qui sans cela serait resté éternellement séparé[1]. Élevez vos regards vers ceux qui ont manifesté dans leur être, à un haut degré, cette force dont l’attraction s’empare activement des choses environnantes, mais qui en même temps aussi possèdent, assez pour le rendre visible dans les actions auxquelles il les pousse, l’instinct de compénétration qui vise à l’Infini, et fait pénétrer en tout l’esprit et la vie, ces êtres-là ne sauraient se contenter d’avaler en la détruisant en quelque sorte une masse brute de choses terrestres ; ils ont besoin de disposer devant eux quelque chose à aménager, à façonner, de manière à en faire un petit monde marqué à l’empreinte de leur esprit. Ainsi leur domination sur les choses est plus raisonnable, leur jouissance plus durable et plus humaine ; et c’est ainsi qu’ils deviennent des héros, des législateurs, des inventeurs, des dompteurs de la nature, de bons démons, qui créent et répandent en silencé une plus noble félicité.

De tels êtres attestent par leur seule existence leur qualité d’envoyés de Dieu et de médiateurs entre l’homme limité et l’humanité infinie. À l’idéaliste inactif, exclu-

  1. Première ébauche de la théorie de la médiation et du médiateur.