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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/129

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sivement spéculatif, qui disperse son être en pensées morcelées et vides, [11] ils rendent visible en action ce qui n’était en lui qu’à l’état de rêve, et, dans ce qu’il méprisait jusque-là, ils lui font voir la matière que son devoir propre est d’élaborer ; ils lui interprètent la voix méconnue de Dieu, ils le réconcilient avec la terre et avec la place qu’il y occupe. Mais ce sont bien plus encore les êtres tout terrestres et sensuels qui ont besoin de semblables médiateurs, pour apprendre d’eux à connaître la force originelle supérieure de l’humanité ; ces médiateurs la leur révèlent par le simple fait que, sans agir, et s’agiter comme eux, saisissant toutes choses par la contemplation lumineuse dont ils en font les objets, ils ne veulent pas connaître d’autres limites que cet univers qu’ils ont trouvé. Celui qui se meut sur cette voie, si Dieu, outre l’instinct qui le pousse à l’expansion et à la pénétration, lui donne cette sensualité mystique et créatrice qui tend à pourvoir toute intériorité d’une existence extérieure, il doit, après chacune de ses excursions dans l’Infini, extérioriser l’impression qu’il en rapporte, de façon à faire d’elle ainsi un objet communicable par l’image ou la parole, pour pouvoir en jouir lui-même de nouveau, transformée en une grandeur finie d’aspect différent, et il doit donc aussi, involontairement et pour ainsi dire dans l’état d’enthousiasme — car il le ferait même s’il était seul — figurer pour autrui ce qui lui est arrivé, sous une forme sensible, [12] en poète ou en voyant, en orateur ou en artiste[1].

Un tel homme est un véritable prêtre du Très-Haut, qu’il rend plus accessible à ceux qui ne sont habitués à saisir que le fini et sa valeur minime ; il leur présente les choses célestes et éternelles comme des objets de jouissance et de communion, comme la seule source inépuisable de ce vers quoi tend toute leur aspiration supérieure. Il vise ainsi à éveiller le germe somnolent de la meilleure humanité, à allumer l’amour du Très-Haut, à transformer la vie ordinaire en une vie plus haute, à réconcilier les fils de la terre avec le ciel, qui leur appartient, et à contrebalancer l’attachement à la grossièreté de la matière qui

  1. Premier rapprochement entre le médiateur religieux et l’artiste.