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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/132

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entendu nulle part[1]. De tout ce que je célèbre et sens comme étant son œuvre, il se trouve sans doute bien peu de chose dans des livres saints, et pour quiconque n’en a pas fait lui-même l’expérience, comment cela ne serait-il pas un objet de scandale et une folie ?

Si ainsi pénétré d’elle je me sens contraint de m’exprimer enfin sur elle et de lui rendre témoignage, à qui d’autre dois-je m’adresser qu’à [16] vous[2] ? Où trouverais-je ailleurs des auditeurs pour mon discours ? Ce n’est pas une prédilection aveugle pour le sol de la patrie ou pour les coparticipants d’une même constitution et d’une même langue qui me fait parler ainsi : c’est la conviction intime que vous êtes les seuls capables de mettre à profit, et par conséquent aussi les seuls dignes qu’on éveille et stimule en eux le sens des choses saintes et divines.

Ces orgueilleux insulaires, pour lesquels beaucoup d’entre vous ont une vénération si excessive, n’ont d’autre mot d’ordre que gain et jouissance ; leur zèle pour les sciences, pour la sagesse dans la vie et la sainte liberté, n’est que vaine joute spectaculaire. Les plus enthousiastes champions de ces biens parmi eux ne font que défendre furieusement l’orthodoxie nationale, et faire miroiter aux yeux du peuple des miracles, afin de maintenir l’attachement superstitieux à de vieux usages ; dans cette disposition, ils ne prennent plus rien au sérieux de tout ce qui dépasse le domaine du sensible et du directement utilisable tout proche. C’est dans un tel esprit qu’ils vont à la quête de connaissances, c’est ainsi que leur sagesse n’est dirigée que dans le sens d’un misérable empirisme, et par suite, la religion ne peut être pour eux que lettre morte, article sacro-saint de la constitution, sans rien de réel en elle[3].

Pour [17] d’autres raisons je me détourne des Francs, dont celui qui respecte la religion supporte à peine la vue,

  1. Ceci ne vaut que pour la foi véritable, personnelle, vivante ; de la religion passivement acceptée par esprit traditionaliste l’auteur dira plus loin le contraire.
  2. B ajoute : fils de l’Allemagne…
  3. Ainsi le « Morave » ne tient aucun compte du rôle si important joué au xviiie siècle en Angleterre par le Méthodisme ; John Wesley est mort il y a huit ans seulement, en 1791.